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elle s'appelait marie

Elle s'appelait Marie, Chapitre 9

Publié le par Marie-Françoise Saulue-Laborde

 

 

Amélie, l’autre employée de l’hôtel, observait « la gamine » du coin de l’œil, tâchant de ne pas se faire remarquer.

Quand la patronne, Madame Anna, lui avait annoncé que la nièce de Monsieur Vincent viendrait l’aider, elle n’en avait pas été enchantée. Qu’est-ce que c’était que cette gamine qu’on lui mettait dans les pattes ? D’abord, est-ce qu’elle avait demandé une aide ? Est-ce qu’elle s’était plainte d’avoir trop à faire ? Non, non et non ! Elle n’avait que faire d’une gamine, sûrement gâtée. Et si c’était pour avoir une deuxième Madame Anna sur le dos, merci bien !

Alors, elle avait décidé de lui mener la vie dure pour qu’elle finisse par s’en aller.

En l’aidant même de quelques « bons conseils » et de crasses bien calculées. Parce que, elle, Amélie, elle se trouvait très bien dans cet hôtel. C’était un travail dur, mais c’était le sien. Pas question qu’une mijaurée le lui vole. Les patrons ? Oh ! une fois qu’on s’était habitué au caractère de Madame Anna, il n’y avait rien à dire : ils étaient justes.

C’est qu’elle n’avait pas eu la vie facile, Amélie. Et cette place, c’était ce qui lui était arrivé de mieux.

Amélie, c’était une petite femme mince, d’une vingtaine d’années, noiraude, aux cheveux noirs et frisés et de grands yeux brillants, toujours à l’affût. De quoi ? de tout.

Sa famille vivait au pied des montagnes dans une petite maison, vieille et sans confort avec leurs 6 enfants. L’école, c’était quand elle pouvait, si aucun petit frère n’était malade, si sa mère n’avait pas besoin d’elle. Très vite, elle avait filé à la ville dans l’espoir d’une « bonne place ». Mais elle n’avait trouvé que des boulots de misère et des fiancés qui la quittaient sans prévenir. L’un d’eux lui avait laissé un joli souvenir : une petite fille, Elisabé, que gardait sa mère, là-bas. Tous les mois, elle courait lui porter l’argent gagné et quelques douceurs, et cajoler son Elisabé. Alors, non elle ne se laisserait pas enlever cette place. Non, non et non !

Donc, elle observait « la gamine », l’ennemie, mine de rien. Elle l’avait vue se débattre avec les seaux des chambres, elle voyait qu’elle était terrorisée par les hommes dans la salle et par Madame Anna. Eh bien quoi ? Est-ce qu’on l’avait aidée, elle ? Non ! Alors, qu’elle se débrouille pour y arriver. Et elle redressait sa petite taille, relevait la tête, et passait en reniflant avec dédain. Non mais !

Cependant, car, elle n’était pas si mauvaise, Amélie, ça la gênait un peu…

Elle était bien obligée de reconnaître que « la gamine » n’était pas paresseuse. Elle s’acquittait de toutes ses tâches (et même celles qu’elle lui refilait en plus, en douce) sans broncher, elle travaillait vite et bien. Oui et alors ? Je ne vais pas me laisser attendrir, non plus ?

Oui, Marie était dure à la tâche, et elle ne se plaignait jamais. Elle pleurait. Le soir, toute seule dans sa chambre. Amélie l’entendait à travers la cloison. Et elle soupirait. Bon, elle va s’y faire. Ou bien elle s’en ira. Et elle tournait et retournait dans son lit.

Et si elle changeait, elle ? Peut-être qu’il était temps de lui tendre la main. Peut-être qu’elles pourraient s’entraider, et avoir chacune un peu moins à faire ? Quoique Madame Anna ne tarderait pas à leur trouver quelques bricoles supplémentaires. Justement, Madame Anna, elles pourraient lui faire face, à deux… Après tout, elles avaient presque le même âge.

Cela demandait réflexion. Amélie se donna quelques jours. Voyons voir. Tiens, jusqu’à la fin de la semaine prochaine, et je crois que j’ai une fameuse idée ! Oui, jusqu’à la semaine prochaine. Et je me sentirai mieux.

 

©Marie Célanie

 

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Elle s'appelait Marie Chapitre 8

Publié le par Marie-Françoise Saulue-Laborde

Orthez, le 30 octobre

Ma petite Marinette,

Quelle tristesse ce que tu m’écris ! Comme j’aimerais pouvoir être à tes côtés pour te réconforter, te consoler. Comme lorsque nous étions petits !

Laisse-moi te dire ce que je pense : tu devrais quand même en parler aux parents ; Ils ont besoin d’argent, oui, mais pas au prix de ton chagrin. Réfléchis-y. je crois que tu viendras à la maison pour Noël, c’est encore loin, mais à ce moment-là, il faudra en parler. Je serai là et je t’aiderai. D’ici là, peut-être que certaines choses se seront arrangées ? Qui sait ?

Je sais que ton travail est dur et je devine que tu n’aimes pas beaucoup ce que tu fais, et je te comprends. Mais j’aurais pensé qu’auprès de l’oncle et de la tante tu aurais été entourée et protégée. Ce que tu me racontes sur la tante est bien décevant : elle est très différente quand elle vient nous voir. Et je ne comprends pas très bien son attitude : c’est elle qui voulait t’embaucher !

Et je voudrais te dire aussi à propos des hommes qui te regardent salement. Ne te sens pas sale, ce sont eux qui le sont. Reste fière de ce que tu es. Garde la tête haute ! Enfin, je suppose que c’est plus facile à dire qu’à faire !

Je ne t’en ai jamais parlé, mais surveiller les études et les dortoirs ce n’est pas drôle non plus ! (et ils sentent mauvais aussi)

Les petits font beaucoup de bruit, chahutent, pleurent aussi parce qu’ils sont loin de chez eux. Et les grands ne sont pas très gentils avec moi, ils me traitent de paysan et se moquent de mon accent ! Et je dois me fâcher pour me faire respecter. Et je n’ai pas beaucoup de temps pour travailler, surtout en latin. Mais ça permet aux parents de ne pas payer le collège. Alors je supporte, moi aussi. Que faire d’autre ?

Ma petite Marinette, je joue au grand frère et je te donne des conseils comme une vieille grand-mère ! C’est que je me fais du souci pour toi. Et je ne sais pas ce que tu peux faire d’autre, ma pauvrette ! J’espère seulement que tu vas trouver du mieux : où, quand, comment, je ne sais pas, mais je te le souhaite.

Si seulement tu pouvais aller un peu te promener, je sais qu’il y a de beaux jardins et des fêtes foraines de temps en temps. Imagine-toi en train de tirer à carabine pour gagner une peluche ! et en train de manger une pomme d’amour !

Tu sais, moi aussi je pense aux vaches. Ne t’en fais pas, elles seront là quand tu reviendras !

Ma petite Marinette, je t’embrasse très fort. Ne perds pas courage !

Ton grand frère

Pierre

 

 

Marie lut et relut la lettre de son frère, puis la rangea soigneusement dans le tiroir de sa table de nuit.

Bien sûr il ne pouvait rien lui dire d’autre que ce qu’elle savait déjà. Mais, de le lire, elle se sentait mieux, un peu moins seule.

Elle allait essayer encore. Jusqu’à Noël. Oui, c’était une bonne idée, jusqu’à Noël.

 

©Marie Célanie

 

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Elle s'appelait Marie- Chapitre 7

Publié le par Marie Célanie

  Chapitre 7

 

 

 

     Pau, le 20 Octobre

 

Ma chère Elisabeth, ma chère Marguerite,

 

 

C’est seulement aujourd’hui que je peux vous écrire. Mes journées passent vite et je n’ai pas beaucoup de temps.

Mais, aujourd’hui, j’ai décidé de vous donner de mes nouvelles.

Comme prévu, nous sommes partis de la ferme le 30 septembre. Monsieur Lafont nous a conduits à la gare dans la voiture de l’épicerie, mon père, ma mère et moi.

Nous avons pris le train ! Vous imaginez ! Quelle vitesse ! Et on suivait les montagnes tout le long du voyage !

Pour dire le vrai, le train, c’est rapide, mais pas très confortable : au bout d’un moment, les banquettes en bois vous rentrent dans le dos, dans les cuisses ! Heureusement qu’on peut se lever  de temps en temps !

Mais arrivés à Pau, mon oncle nous attendait dans sa voiture et nous sommes vite arrivés à l’hôtel. 

Que de maisons ! Mes amies, je n’en croyais pas mes yeux ! Et ce monde partout ! Ah ça change de chez nous !

L’hôtel s’appelle « L’Hôtel ».Il n’a pas de nom. Et il est tout petit. Enfin, pas très grand. Au rez-de-chaussée, il y a la salle avec le bar de mon oncle où il sert à boire. Derrière, il y a la cuisine et la remise, et puis une cour avec quelques bâtiments. Ils devaient y faire des chambres, mais ça ne s’est pas fait. Je ne sais pas pourquoi.

Quand on vient à l’hôtel, on passe par une petite porte de côté et un escalier monte dans les chambres. De l’autre côté du couloir, c’est l’appartement de mon oncle et ma tante. Au premier étage, il y a 6 chambres de part et d’autre  du couloir : 3 donnent sur la rue, 3 sur la cour. Et au 2ème, il y a 3 chambres de bonnes : la mienne, celle d’Amélie et la dernière qui est vide.

6 chambres, ça paraît peu, mais c’est beaucoup de travail. Et pas très agréable, je vous assure !

Mon travail ressemble beaucoup à ce que je faisais chez nous. *On se lève tôt, on déjeune vite dans la salle et ensuite on travaille.

Les pensionnaires (c’est comme ça qu’ils disent, les pensionnaires) viennent avaler un café et on leur prépare leur gamelle pour midi sur le chantier : soit un casse-croûte au jambon ou au fromage, ¼ litre de vin, 1 pomme. Ou le reste du repas de la veille. Ça dépend s’ils ont de l’argent ou pas.

Amélie et moi, on prépare les casse-croûte, et l’oncle note dans un cahier qui prend quoi. Il fait les comptes à la fin de la semaine et ils lui payent ce qu’ils lui doivent. Comme nous chez la boulangère. Je ne sais pas s’il y a des clients qui ne sont pas des pensionnaires, en tout cas, je n’en ai pas encore vus.

Quand ils sont tous partis, on s’occupe des chambres : ranger, tirer les draps, aérer, faire la poussière, vider les pots, les cuvettes, les seaux, passer la serpillière. Ah ! Vous ne savez pas ce que c’est une serpillière ? Un chiffon pour le sol. Ensuite, On va aider la tante pour le repas. C’est elle qui cuisine. Nous, Amélie et moi, on fait ce qu’elle nous dit : on épluche les légumes, on coupe le lard et le jambon, on fait les vinaigrettes. Ce genre de choses. On dresse le couvert sur les tables de la salle, et on mange, vite, vite vers 11h. A midi arrivent quelques personnes pour déjeuner (oui, il paraît qu’en français on déjeune à midi, on ne dîne pas). On les sert et quand ils s’en vont, on fait la vaisselle, avec un frère d’Amélie qui aide un peu pour tout.

Et, là, on peut se reposer. Et ce n’est pas de trop ! Et vers 5h, on retourne aider pour le repas du soir, faire la vaisselle, nettoyer la salle. Ensuite on va se coucher. Et je peux vous dire que je m’endors bien vite !

Mais, je vous raconterai tout ça bientôt, quand je viendrai passer un dimanche chez nous.

Ecrivez-moi pour me raconter ce que vous faites sans moi. Avez-vous trouvé un travail, vous aussi ? Ou un amoureux ?

A bientôt mes amies.

Grosses bises à toutes les deux.

 

Votre amie

 

Marie

 

 

 

 

                                                                                                                                                                                                     Pau, le 20 octobre,

 

Chers tous,

J’espère que ma lettre vous trouvera en bonne santé.

Je vais bien, rassurez-vous. Mais le travail est un peu fatigant. Cependant, je fais de mon mieux et vous n’aurez pas à rougir de moi.

Je ne sais pas ce qu’en pensent l’oncle et la tante, car ils ne me parlent guère. Sans doute ne veulent-ils pas laisser croire qu’ils font des préférences avec leur

nièce.

Ne vous inquiétez pas, je m’habitue bien. Mais vous me manquez tous ! Même ce diable d’Antoine ! Ecrivez-moi, ça me fera plaisir.

Je fais comme vous me l’avez dit : pour l’instant, je garde mon argent pour acheter ce qui pourrait me manquer. Je vais devoir chercher un tablier de plus, car les miens se salissent vite et le linge sèche mal ici.

Tout le monde est gentil avec moi et je pense que je vais me plaire, ici.

Quand je serai bien habituée, je crois que j’irai me promener un peu en ville et voir le château. Et aussi le grand parc. Mais pour l’instant, quand j’ai fini de travailler, je dors, et le dimanche aussi, après la messe.

Vous voyez, tout va bien. Donnez-moi de vos nouvelles.

Grosses bises à tous,

Votre fille

Marie

                                                                                         Pau, le 20 octobre,

 

 

 

                                       Mon cher Pierre,

 

Tu ne peux pas savoir comme je suis malheureuse, ici ! Chaque soir, je m’endors en pleurant, et le matin je me réveille en pleurant.

Le travail ici est fatigant. Il y a ces escaliers à monter et descendre tant de fois dans la journée ! Et vite, vite car il y a tant à faire !

Les chambres quand on y entre pour faire le ménage, sentent…..C’est pire que la loge aux cochons ! Et il faut y entrer et y travailler : tirer les draps, ranger ce qui traîne, ouvrir les fenêtres. Et surtout vider les seaux, les pots de chambre (avec tout ce qu’il y a dedans), les cuvettes….Le premier jour, j’ai vomi mon déjeuner. Et Amélie s’est bien moquée de moi ! C’est répugnant, Pierre ! Et il faut le faire tous les matins. Bien sûr, je le faisais chez nous. Mais ce n’était pas pareil. Pas du tout. Je ne sais pas si je pourrai continuer. Je tiens pour les parents, pour ne pas leur faire honte et pour gagner un peu d’argent. Ils en ont tellement besoin ! Je le sais bien.

Mais, tu sais, ce n’est pas le pire. Non. Le pire, c’est que personne ne me parle. On me donne des ordres, ça oui ! A longueur de journée! Mais me parler ? Non. L’oncle, un peu, parfois il me demande « Alors, petite, tu t’en sors ? »

Mais la tante ! Ah ! C’est bien fini les sourires et les câlins, tu peux me croire !

C’est « Marie, fais ceci, fais cela, pense à ça, n’oublie pas » Et elle n’est jamais contente. Elle m’observe, l’air sévère, et elle guette. La faute, l’erreur, la bêtise. Qui arrive à chaque fois, bien sûr. Je courbe le dos et je me retiens de pleurer. Sinon, elle me traite de mijaurée. Parfois, je ne sais plus que faire. Et je n’ose plus bouger. Pourquoi m’avoir fait venir ? Je te le demande !

Et tous ces hommes dans la salle qui nous regardent d’un œil sale quand on pose la soupe sur la table…ça me fait honte, tu sais.

Je pensais trouver une amie, ou au moins une compagne avec Amélie. Mais elle est sournoise et méchante. Elle me regarde par en-dessous, avec un petit sourire en coin et elle ricane quand la tante s’en prend à moi. Pour être juste, la tante s’en prend à elle aussi. La tante s’en prend à tout le monde. On dirait qu’elle n’est contente que quand elle nous a tous fait pleurer. Alors, là, elle se redresse, fait demi-tour et rentre chez elle.

Quand on m’a montré ma chambre sous le toit, j’étais contente, car par la lucarne, je pouvais voir les montagnes et le ciel. Mais je n’ai pas beaucoup le temps de les regarder, tu sais.

La maison me manque. Sentir l’herbe sous mes pieds dans les champs, la bonne odeur chaude de l’étable avec nos vaches couvertes de crotte, mais si belles et si douces ! L’odeur du foin dans le grenier quand j’allais chercher les œufs…

Ici, il y a une odeur de sale partout.

Je n’ai rien dit aux parents, ils seraient trop malheureux. Il n’y a qu’à toi que je peux parler, mon Pierre ! N’en parle pas non plus, je te prie. Mais écris-moi. Donne-moi de vos nouvelles à tous et des tiennes, de tes études. Que je puisse rêver un peu. Je t’embrasse bien fort

Ta petite sœur bien malheureuse,

Marie

 

 

©Marie Célanie

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Elle s'appelait Marie - Chapitre 6

Publié le par Marie Célanie

Chapitre 6

« Ah ! Marie ! Te voilà de retour ! Tu arrives juste à temps pour m’aider. »

L’oncle et la tante étaient repartis. Chacun reprenait ses occupations et il y avait à faire.

Marie et sa mère se mirent donc au travail pour redonner à la salle son aspect quotidien. Les tasses à café, le sucre, les cuillères, les restes de gâteau, les pots de confiture furent retirés et rangés. On secoua la nappe dans la cour, les poules se précipitèrent sur les miettes dans un grand bruit de becs et de plumes. La nappe et les serviettes furent roulées en boule « J’irai les laver demain au lavoir, avec les draps. Ton père m’aidera à pousser la brouette. »

On remit en place la vieille toile cirée aux dessins presqu’effacés, et un dessous de plat en fer blanc au milieu de la table.

Marie avait pris le balai et s’affairait à nettoyer le sol de la salle qui gardait les traces des repas et des nombreuses allées et venues.

Elles allèrent ensuite s’occuper de la chambre où avaient dormi l’oncle et la tante. Il n’y eut pas grand-chose à faire : tante Anna avait enlevé les draps, reposé l’édredon sur le matelas et les avait entassés avec le linge de toilette au pied du lit.

La mère s’assit sur le lit. Geste surprenant chez cette femme dure au travail et qui ne se relâchait jamais. Elle tapota l’édredon « Viens t’asseoir un peu là »

Etonnée, marie obéit. On n’avait pas l’habitude des confidences, dans la famille. Ni des explications. On ne parlait pas de soi. Voilà.

Elle s’assit, tout en regardant sa mère, par en dessous. Qui ne la regardait pas. Elle fixait quelque chose, au loin, par la fenêtre ouverte. Sans parler.

Quand elle se décida, elle respira profondément et se tourna vers sa fille.

« Donc, tu vas accepter d’aller travailler chez le tonton Vincent ? »

Marie souffla « Oui » timidement « Pourquoi ? Je ne devrais pas ? »

« Oh si ! bien sûr que si ! C’est une belle chance qu’ils te donnent, tu le sais.

Mais il va falloir te préparer un peu pendant l’été. Tu vas savoir besoin de vêtements, un peu plus qu’ici.

Réfléchis à ce que tu voudras emporter avec toi, car tu ne reviendras pas très souvent.

Et puis, il faut que je t’explique quelque chose. Ce n’est pas facile.

Ton oncle et ta tante, c’est ton oncle et ta tante. Mais, là, tu seras surtout leur employée. Tu devras faire attention à ne pas froisser les autres. Je pense à cette jeune fille, Amélie. Qu’elle ne te prenne pas en grippe parce que tu es de la famille. »

Marie avait du mal à suivre. Elle ne comprenait pas.

« Je ne vais pas les appeler Monsieur et Madame, quand même ! »

« Ah ! C’est difficile ! Mais je pense que ta tante te le fera comprendre très vite »

Marie se souvint de l’incident du repas.

«  Que veux-tu dire, Maman ? Tante Anna est très gentille, elle nous aime beaucoup »

« Bien sûr, petite. Mais, elle sera la patronne, et si tu es trop familière avec elle, devant les autres, elle te le fera remarquer. Enfin, c’est ce que je pense. Mais, je peux me tromper. Ce que je veux te dire, c’est qu’ils ne seront sans doute pas aussi aimables qu’ici. Ils seront, peut-être, très exigeants, même un peu durs. Mais je les crois justes et honnêtes. Ils ne te feront pas de mal, mais tu devras apprendre comment travailler, et vite. »

« ça ne me fait pas peur, le travail, nous autres, on connaît »

« Certes, tu n’es pas paresseuse. Mais parfois un peu rêveuse. Il faudra y prendre garde. Ce sera une vie très différente d’ici, même si le travail est à peu près le même. D’abord, nous ne serons pas avec toi, et il y aura des moments où tu te sentiras très seule. Et, heureusement, beaucoup d’autres où tout ira très bien.

Tu nous écriras ? Pour nous raconter tout ça. Et on te répondra.

Tu as quelques mois devant toi pour y réfléchir. Profites-en. »

Marie était troublée. Elle n’avait pas l’habitude de ce genre de conversations. 

« Tu crois que je dois leur écrire tout de suite, puisque je suis décidée ? »

« Non. Pâques n’est pas bien loin, de toute façon, ils n’auront pas longtemps à attendre. »

« C’est vrai. Je vais attendre ; »Et c’est ce qu’elle fit. Avec l’aide de sa mère, le dimanche de Pâques, elle écrivit un petit mot à son oncle et sa tante, pour les remercier de leur offre et leur annoncer qu’elle  l‘acceptait, tout en leur demandant à quelle date ils souhaitaient qu’elle les rejoigne.

Il fut décidé qu’elle commencerait à travailler le 1er octobre. Son père et sa mère l’accompagneraient : ils prendraient le train tous les 3 et les parents reviendraient le lendemain. Presque des vacances !

En attendant, la vie à la ferme continuait.

C’était un sentiment bizarre. A moitié partie déjà, mais encore ici.

Elle rêvassait encore plus que d’habitude.

Le printemps et ses changements de temps et de température s’acheva. lentement. Les fraises et les cerises remplacèrent les pommes fripées de l’année passée. Les écoliers voyaient arriver la fin de l’année scolaire. Le beau temps s’installait durablement. Bientôt arriverait le temps de la moisson, il y aurait aussi le foin à ramasser, les meules à monter.

Ce qui lui paraissait tellement habituel, prenait soudain une acuité nouvelle, se fixait comme un souvenir unique à conserver.

Tout devenait « une dernière fois ».

Car ce départ lui apparaissait déjà définitif. Quand elle reviendrait, ce serait pour repartir.

Plus jamais, elle ne resterait ici.

Alors, elle faisait sa part, comme elle l’avait toujours fait. Mais en y goûtant un peu plus. En savourant.

Il fallut commencer à faire l’inventaire. Ce fut vite fait : elle n’avait pas grand-chose. Mais, par exemple, elle voulait emporter un livre, ou deux. Qu’elle aimait bien. Elle aurait peut-être le temps de lire ?

Elle étala ses vêtements sur le lit : chemisiers ordinaires, un brodé pour le dimanche, une jupe pour tous les jours, et une plus neuve pour le dimanche, un tablier, des bas rapiécé, des chaussettes. Un tricot pour l’hiver, un châle et un vieux manteau. Deux chemises de nuit.

Cela suffirait-il ?

Sa mère examina l’ensemble :

« Il te faut 2 gilets, tu as le temps de les tricoter, j’ai de la laine en réserve. Un tablier c’est trop peu, il te faut du rechange. On va en tailler deux autres dans mes vieilles robes. Les chaussettes et les bas feront l’affaire pour commencer. On achètera 2 paires d’espadrilles. Pour travailler, c’est le mieux. Pour le reste, tu as tes chaussures du dimanche. Tu n’as pas besoin de draps, ils te les fourniront. Ah ! Il te faudra un béret neuf. Et des épingles pour attacher tes cheveux. Oui, ça devrait aller. »

Et durant l’été, c’est ce qu’elles firent : tricot, couture, achats.

Vers le 15 août, les sœurs Lartigue arrivèrent, riant et courant.

« Marie, regarde un peu »

Elles lui tendirent un paquet mal ficelé dans du papier journal.

« Ouvre ! C’est pour toi. On l’a trouvé au marché ce matin. »

Marie trouva un coupon de tissu fleuri. De petites fleurs jaunes et roses s’épanouissaient sur le fond gris foncé.

« Tu devrais pouvoir te tailler un joli corsage »

Déjà, elles avaient saisi le coupon et le drapaient sur ses épaules.

« Regardez, Madame Labarrère, si ce n’est pas joli ! »

Marie rosissait de plaisir. Oh ! Oui ! C’était joli ! Elle embrassa ses deux amies « venez voir mon trousseau, allez venez ! »

Les filles s’exclamèrent « Tu emportes tout ça ? »

« C’est que …je ne viendrai pas beaucoup et pas longtemps. J’en aurai plus besoin là-bas qu’ici. » Sa voix s’étranglait un peu, malgré son sourire.

« Et vous savez, finalement, j’aurai une robe neuve. Enfin, presque neuve. Nouvelle en tout cas. C’est ma tante qui travaille à Bordeaux qui va me l’apporter. La fille de ses patrons n’en veut plus, alors, elle la lui a donnée. Pour moi. Elle arrive demain, vous viendrez lavoir. Et je vais commencer à tailler le corsage. »

Soudain, la séparation devenait une réalité pour Bernadette et Marguerite.

« Tu auras le temps de nous écrire ? Pour nous raconter ? »

« Mais je ne pars que le 1er octobre. On a encore le temps ! »

Le temps passait. Les moissons, les chaleurs de l’été, les confitures et les conserves. Les pommes de terre et les pommes à conserver…

Le temps passait. Inexorablement. Qui la rapprochait chaque jour du 1er octobre.

Vinrent enfin les vendanges.

Les écoliers reprirent le chemin de l’école.

Pas elle.

Un Jour, Pierre, son grand frère, vint la voir.

« On a fait du rangement, au collège. Je t’ai ramené un encrier qui ferme, un porte-plume, des plumes et 3 cahiers. Et des crayons. Et un buvard. Comme ça tu pourras nous écrire. Il ne te manque que les enveloppes et les timbres.

Il serra sa sœur dans ses bras : « Surtout écris-nous. Tu vas nous manquer, Marinette »

 

©Marie Célanie

 

 

 

 

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Elle s'appelait Marie-Chapitre 5

Publié le par Marie-Françoise Saulue-Laborde

CHAPITRE 5

Le dimanche n’était pas un jour comme les autres.

Personne ne travaillait aux champs. Mais, il fallait quand même s’occuper des vaches. C’est pourquoi, ce dimanche, le père et la mère se levèrent comme chaque matin, à la même heure. Le père s’habilla rapidement et partit vers l’étable : il fallait traire les vaches et les faire sortir.

Aujourd’hui, elles se contenteraient du champ le plus proche.

Ils s’installèrent sur les petits tabourets à trois pieds, qu’ils déplaçaient de vache en vache, le seau à la main, pour récolter le lait qu’ils verseraient ensuite dans des pots en métal de tailles diverses, qui iraient attendre les clients sur l’appui de la fenêtre de la cuisine.

Le père fit sortir les vaches et les poussa vers la barrière ouverte. Elles y allaient sans hâte, secouant leurs bonnes grosses têtes pour chasser les mouches qui leur faisaient cortège et faisant chanter leurs clarines.

Sitôt la barrière refermée, il se dirigea vers la salle.

A part les plus jeunes, personne ne prit de petit-déjeuner. Aucune odeur de café, ni de soupe à réchauffer, ni de jambon ou d’œufs frits. Il fallait rester à jeun et ne rien manger à partir de minuit pour pouvoir communier pendant la messe.

Seuls Antoine et Mélanie avalèrent leurs bols de lait et leurs tartines de confiture.

Chacun vint chercher  un broc d’eau chaude pour faire une toilette plus soignée.

On préparait aussi les habits et les chaussures du dimanche qui devaient être bien propres et pas crottées de boue comme les sabots ou les galoches de travail.

Pendant ce temps, la mère mit en route son repas pour que tout soit prêt à leur retour. Dans la cheminée, elle mit à chauffer une marmite d’eau dans laquelle elle ajouta un oignon piqué de clous de girofle, du thym, du laurier, une gousse d’ail, et elle y jeta les haricots blancs qui avaient trempé toute la nuit. A leur retour, ils seraient bons à être assaisonnés.

Elle enduisit les poulets de graisse, sala, poivra et les mit au four. Quand on les mangerait, leur peau serait craquante et leur chair tendre et juteuse.

Il fut bientôt l’heure de partir. La mère inspecta les tenues, rectifia un col de chemise par ci, tira sur une jupe par là, remonta des chaussettes, aplatit d’une tape quelques épis récalcitrants. Vérifia que chacun ait son missel. Et ils se mirent en route, Vincent et Anna compris. L’église était proche, ils n’avaient guère de chemin à faire.

Marie suivait. Pensive. Jusqu’à ce jour, elle n’avait pas réfléchi à son avenir. Sa vie lui semblait simple : comme sa mère et ses tantes, le moment venu, elle épouserait un garçon du voisinage et elle aurait la même vie : les bêtes, les travaux des champs, la maison, la cuisine, les enfants. Elle n’imaginait rien d’autre que cette continuité. Et voilà que sa tranquillité se trouvait bousculée. Tout d’un coup, on lui donnait un futur. Et elle ne savait qu’en faire…

Devant l’église, les familles, les amis se retrouvaient. On s’embrassait, les grands bérets se soulevaient. Les enfants essayaient de s’échapper pour courir un peu, on les réprimandait vite « Tes habits du dimanche et tes chaussures ! Fais donc attention ! »

Marie retrouva ses amies, les sœurs Lartigue. Marguerite avait un an de plus qu’elle et Bernadette un de moins. « J’ai une grande nouvelle à vous annoncer ! Mais on en parlera ce tantôt, quand on ira se promener » Les deux sœurs la regardèrent, étonnées «  Et pourquoi pas de suite ? » « Parce que. Et on doit entrer, la messe va commencer et ma mère m’appelle. »

L’église se remplissait lentement. Les hommes et les jeunes gens montaient à la tribune, les femmes et les enfants s’installaient en bas, chacun sur sa chaise, et pas sur celle du voisin. Les plus riches avaient des chaises rembourrées en velours avec leurs noms cloutés sur les dossiers. Pour les autres de simples marques tracées dans le bois.

Marie écoutait distraitement le prêtre. Par habitude, elle répondait, mollement, et chantait  à voix basse. Elle aurait été incapable de se souvenir du contenu du sermon, et elle sursauta quand sa mère lui tapa sur le bras : il fallait aller communier. La messe serait bientôt finie. Elle n’en avait tiré aucun réconfort.

D’habitude, la messe finie, elle restait avec les sœurs Lartigue et d’autres amies d’école, à papoter jusqu’à ce que sa mère l’appelle. Mais aujourd’hui, elle était pressée de rentrer. L’excitation se transformait en panique. Le temps passant, elle s’angoissait. Et ne savait plus si c’était l’attente, l’incertitude ou la décision à prendre qui lui serrait le cœur.

Elle alla embrasser ses amies « A tout à l’heure. Venez me chercher »

Et elle repartit avec sa famille vers la maison.

Dès qu’on eut posé les manteaux, on s’installa autour de la cafetière. Tout se ralentit pour Marie, le café qu’on versait, la cuillère qui tournait lentement dans la tasse, le père qui tassait le tabac dans pipe avant de l’allumer.

On poussa vers elle un bol de lait teinté de chicorée. Elle le but machinalement.

L’oncle Vincent se racla la gorge « Donc. Si vous voulez bien, on pourrait en parler, maintenant ? »

Thérèse, la mère, hocha la tête en regardant son mari « Oui. Allons-y »

Pesant ses mots, l’oncle refit sa proposition. Il expliqua, argumenta, tout en parlant, il faisait tourner sa tasse entre ses mains, sans lever les yeux. Son idée ne lui paraissait plus si bonne, soudain. Enfin, il soupira « Voilà. Qu’en pensez-vous ? »

« On en pense que du bien, tu peux le croire. Marie a 16 ans bientôt. Elle aura fini le cours complémentaire à l’été. Votre offre tombe à pic. Si toutefois elle est d’accord. Mais n’oubliez pas que c’est notre fille que nous allons vous confier. Il vous faudra veiller sur elle, l’aider, la soutenir. Et, le dimanche, il faut qu’elle puisse aller à la messe. Et ce serait bien qu’elle revienne ici tous les mois, au moins au début. Donc qu’elle ait des jours libres »

Marie n’en croyait pas ses oreilles. Quand avaient-ils eu le temps de tout décider ? Et sans lui en parler ? Non pas que les propositions lui déplaisent. Au contraire, elles lui semblaient pleines de bon sens. Mais est-ce que c’étaient des conditions de travail normales ? Elle voyait bien que la tante se renfrognait et que sa mère se permettait un petit sourire en coin. Que se passait-il entre les deux femmes ? Elle avait toujours cru qu’elles s’aimaient et s’appréciaient. Mais à les voir là, elle n’en n’était plus très sûre.

On se tourna vers elle

« Qu’en dis-tu, petite ? »

Elle eut peur tout d’un coup

« Je dois décider tout de suite ? »

La tante murmura « Il y a d’autres filles à embaucher, tu sais »

« Tss Tss » L’oncle tapota l’épaule de sa femme.

«  Nous te prenons un peu de court, petite. De toute façon, si tu acceptes, et je suis sûr que tu accepteras, tu commencerais à l’automne, en octobre, ça te laisse du temps. Mais il faudrait que tu nous répondes avant Pâques. Qu’en dis-tu ? »

Elle n’en disait rien. Elle hocha la tête. Pâques, oui. Pour Pâques, elle serait prête.

Tout le monde se leva. La vie reprit, on rangea le café et on s’occupa du repas. Enfin, les femmes. Le père et l’oncle partirent faire un tour. Les garçons filèrent dans leur chambre.

Quand tout fut prêt, la soupe sur la table, la nappe bien tirée, on appela les uns et les autres.

Le repas se déroula dans une ambiance feutrée. La soupe fut vite avalée. On ouvrit un bocal de pâté avant d’attaquer les poulets rôtis, dorés de graisse, et les haricots blancs qui avaient mijoté toute la matinée. Les conversations traînaient, on se servait largement, le père versait le vin, on sauçait avec de gros morceaux de pain. On savourait.

Ils finissaient le gâteau et les pommes quand on frappa à la porte. « Les petites Lartigue, sans doute. Entrez, entrez, petites »

Marguerite et Bernadette entrèrent joyeusement

« Bonjour tout le monde ! Madame Labarrère, est-ce que Marie peut venir se promener avec nous ? »

« Mais oui ! Mais prenez un bout de gâteau, allez »

Marie ne se le fit pas dire deux fois. Elle attrapa son manteau, saisit ses amies par le bras, et hop ! Les voilà parties !

Il ne faisait pas froid. Elles partirent d’un bon pas. Elles connaissaient tous les chemins alentour. Après l’abreuvoir, elles prirent un chemin à gauche qui s’enfonçait sous les arbres encore dénudés. Elles s’assirent sous un chêne.

« Alors, raconte. Qu’avais-tu à nous dire ?»

« Voilà. Vous connaissez mon oncle Vincent et ma tante Anna ? »

« Oui, ceux qui sont chez toi aujourd’hui et qui ont un hôtel à Pau ? Oui, on les connaît. Et alors ? »

« Et, alors, ils veulent que j’aille travailler à l’hôtel. Avec eux. En octobre »

« A Pau ? Tu partirais à Pau ? Et pour faire quoi ? »

« Un peu de tout : le ménage, la cuisine, les chambres. Un peu tout, quoi. »

« Et tu es contente, au moins ? »

« Je ne sais pas »

Marguerite remarqua « C’est une chance de trouver un travail sans en chercher. Et dans la famille proche, en plus. Tu n’auras pas à t’en faire : ton oncle et ta tante t’aiment bien. Ils t’aideront. Tu ne seras pas seule, c’est bien »

Sa sœur approuva « Oui, c’est bien. Et tu seras payée au moins ? »

« Oui, bien sûr. Pas beaucoup au début, mais ça augmentera si ils sont contents. Donc, vous pensez que je dois accepter ? »

Marguerite réfléchit un peu avant de répondre. Elle avait bien senti ce que Marie ne disait pas : elle avait peur et elle demandait de l’aide, de l’aide pour se décider. Elle prit Marie par la main et lui dit :

« Oui, je crois que tu peux accepter. Tu seras protégée et tu pourras aider tes parents. Et tu peux être fière : tu es la première de ta famille à le faire »

Bernadette pensait surtout qu’elle allait perdre son amie. Mais sa sœur avait raison. Une chance pareille, ça ne se refusait pas.

« Ils m’ont donné jusqu’à Pâques pour me décider »

« A quoi bon attendre ? Si tu es décidée, vas-y et accepte »

« Tu as peut-être raison. Je vais en parler avec ma mère d’abord. »

«C’est le mieux que tu aies à faire si tu veux mon avis »

Oui, c’est ce qu’elle ferait. Elle lui dirait qu’elle avait réfléchi et qu’elle acceptait ce travail et qu’on pouvait le dire à l’oncle et à la tante.

Elle ressentit un grand calme. Elle regarda ses amies :

« Il fait plus frais, marchons encore un peu »

 

©Marie Célanie

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Elle s'appelait Marie- Chapitre 4

Publié le par Marie Célanie

CHAPITRE 4

Assise devant la vieille coiffeuse un peu bancale, Thérèse avait défait son chignon et tressait ses longs cheveux pour la nuit. Malgré la lumière insuffisante, elle constatait, songeuse, la progression des cheveux blancs. Elle soupira en terminant sa tresse.

Jean, déjà couché, l’observait, de toute la tendresse de ses yeux myopes. Il avait posé ses besicles sur la table de nuit, près du bougeoir et des allumettes, placés là en cas de panne.

Sur le mur, au-dessus du lit, un bouquet de laurier séchait depuis le dimanche des Rameaux de l’année passée, accroché au crucifix. Face à lui, la photo encadrée de leur mariage. Il avait tenu à ce qu’on les photographie seuls, Thérèse et lui. Les photos de la noce étaient collées dans un album.

Il sourit derrière sa moustache :

« Quelque chose ne va pas ? »

« Evidemment quelque chose ne va pas ! Ça te plaît peut-être à toi, cette histoire ? Ça te plaît que ton frère et sa femme en parlent comme ça, pendant le repas, devant Marie, sans nous en avoir parlé avant ? Ça te plaît ça ? »

« Calme-toi, Thérèse, et viens là, près de moi »

« Non, je ne me calme pas et ça changera quoi que je vienne près de toi ? Tu peux me le dire ? »

Elle vint pourtant, s’allonger à ses côtés, à moitié calmée déjà par sa présence.

« C’est vrai qu’ils nous forcent un peu la main, là. Mais on va en reparler, on a du temps, et puis, on en parlera avec Marie, tu penses bien. »

« Je ne sais pas quoi penser, vois-tu. C’est une offre généreuse de leur part, c’est certain. Mais la laisser partir si loin, si jeune, et seule… ça me déplaît »

« Elle n’est pas si jeune, Thérèse, elle a 16 ans. Et ce n’est pas si loin, à peine 40km, il y a le train et les cars. Et elle ne sera pas seule, Vincent et Anna seront là, et ils aiment nos enfants comme si ils étaient les leurs ».

« Oui, ils les aiment comme des poupées, pour leur faire des cadeaux, les embrasser, les faire rire. Mais s’occuper d’une gamine de cet âge-là, c’est délicat ! Il peut arriver tant de choses ! Et ce travail ! C’est fatigant ! J’ai observé Amélie comme elle se démène du matin au soir. Est-ce que c’est bon pour Marie, ça ? »

« Thérèse, elle doit grandir. C’est la vie, c’est notre vie : travailler et travailler dur. Tu es si malheureuse, toi ? »

« Mais nous, on travaille pour nous. Et j’aime cette vie. Mais être domestique dans un hôtel … »

« Mais, que veux-tu qu’elle fasse ? Elle peut épouser un paysan et vivre comme nous, ou bien partir à Paris, comme ma sœur, domestique chez des bourgeois, ou ça. Ce n’est pas la couture et le tricot qu’elle apprend au Cours Complémentaire, et mal en plus, qui la feront vivre, tu le sais »

« Je sais bien. Mais je ne m’y attendais pas.. »

« Allez, viens, on en reparlera tranquillement. Moi, j’aurais tendance à lui faire confiance, à Marie. Elle a la tête sur les épaules, elle est solide. Dormons, maintenant, ma douce. »

Elle lui sourit, un de ses sourires si rares, et se blottit dans ses bras.

De l’autre côté de la cloison, Anna regardait Vincent s’étirer sur le lit. Sur le mur, un autre bouquet de laurier finissait de sécher, accroché à un crucifix, et, en face, les portraits du grand-père et de la grand-mère, ses beaux-parents. Sévères.

« Tu crois qu’on a bien fait ? »

« Bien fait quoi, Anna ? »

« De leur parler pendant le repas. On aurait peut-être dû attendre. Thérèse me regardait de son œil noir. Elle me faisait peur ; j’ai cru qu’elle allait me sauter dessus. »

« Oh ! Tu la connais, la Thérèse ! Même le jour de son mariage, elle faisait la tête. Tu l’as déjà vue sourire ? Ou rire ? Quelquefois je plains mon frère, lui qui a toujours la blague à la bouche. Epouser ce dragon en jupons ! »

« Tu exagères toujours. Elle est très serviable, et efficace. Et les petits sont magnifiques. Et bien élevés. Regarde Pierre, il va passer son bachot, ce n’est pas rien, tout de même. Et Mélanie, quel amour cette petite ! »

« En attendant, ils ne nous ont pas répondu. Tu as peut-être raison. On aurait peut-être dû s’y prendre autrement. Bon, on verra demain. Tu viens te coucher, à la fin ? Je suis vanné. »

Anna éteignit la lumière et vint rejoindre son mari qui ronflait déjà. Mais le sommeil fut long à venir.

A l’étage, les enfants aussi se préparaient au coucher. Les filles tressaient leurs cheveux pour la nuit. Mélanie réclamait un câlin, un bisou, une chanson. Elle finit par s’écrouler de fatigue tout contre Madeleine qui dormait déjà.

Pendant ce temps, Antoine mettait la patience de ses frères à rude épreuve. Quand ils en eurent assez de le voir sauter et de l’entendre jacasser, Joseph se leva de toute sa taille

« Alors, maintenant, tu te couches et tu te tais ou bien je te flanque une dérouillée »

« Je le dirai à maman »

« Eh va le dire au Pape si tu veux ! Mais tais-toi qu’on dorme, moustique ! »

« Eh le grand, méfie-toi, les moustiques, ça pique ! »

Enfoui sous l’édredon, il s’étouffait de rire et de rage. Personne ne le respectait dans cette famille ! Ils verraient, quand il serait grand ! Ils verraient ! Il ronchonna jusqu’à ce qu’il s’endorme.

« T’en  penses quoi, toi ? »

« De quoi ? »

« Mais de Marie ! Enfin ! Sors de ton foutu bouquin. De Marie, de l’oncle, de la tante, l’hôtel, tout ça quoi ! »

Joseph aimait aller droit au but et ne se perdait pas en digressions.

« Alors, t’en penses quoi ? »

« Je ne sais pas trop. C’est peut-être une chance pour elle. Mais si elle part, elle va me manquer, ma petite sœur. Et puis, ça veut dire qu’après ce sera notre tour de partir »

« Parle pour toi. Moi je reste ici. A la ferme »

« On en a déjà parlé. Je sais,»

« Toi oui. Pas les parents »

Sur ce, ils éteignirent la lumière et tâchèrent de dormir.

Dans la chambre des filles, la lumière éteinte, Marie ne dormait pas. Elle entendait la respiration calme de ses petites sœurs. Un hibou, ou une chouette hurlait dehors. La lune avait dû se lever.

Elle restait immobile. Les mains croisées sur l’édredon.

Elle allait devoir choisir. Car elle en était persuadée, c’est elle qui aurait le dernier mot. Quand les parents auraient tourné cette offre dans tous les sens, qu’ils en auraient évalué tous les aspects, alors, on lui demanderait de choisir.

Elle voulait partir. La vie, la vraie, palpitait là, quelque part, ailleurs.

Oui, mais. Elle voulait rester. Avec les siens. Elle voulait continuer à rêver en regardant les nuages, écouter les bruits de la nuit, la maison qui craquait.

Abandonner cela pour vider des pots de chambre….

Oui, mais, elle gagnerait de l’argent. Si faible que soit son salaire, il serait le bienvenu. Evidemment qu’elle ne le garderait pas. Elle le donnerait à sa mère qui lui en laisserait une partie. Oui, c’était à considérer. La famille manquait souvent d’argent, son salaire tomberait à pic..

Et devant cet avenir qui s’ouvrait à elle, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver une crainte sourde, comme si un gouffre s’ouvrait sous ses pas.

©Marie Célanie

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Elle s'appelait Marie- Chapitre 3

Publié le par Marie Célanie

Le samedi 13 arriva vite. En ouvrant sa fenêtre, Marie fut surprise par le brouillard épais qui masquait les champs et estompait les collines. Il faisait frais et humide. Mais il était encore tôt. Elle était sûre qu’à midi il ferait un grand soleil. C’était toujours ainsi : le brouillard annonçait le soleil. Enfin, presque toujours.

Il fallait se dépêcher, c’est aujourd’hui que le tonton arrivait.

Les visites de Vincent et Anna étaient régulières. La ferme était devenue, au fil du temps, le point de ralliement de la famille paternelle. Les frères et sœurs y revenaient régulièrement. Peut-être parce que le grand-père et la grand-mère y étaient restés jusqu’à leur mort. Par exemple, Vincent et Anna qui géraient un petit hôtel, à Pau, venaient au moins une fois par mois. Suzanne et Elisabeth qui s’étaient mariées pas loin, venaient en famille les jours de fêtes, apportant qui un poulet rôti, qui un gâteau. Et ceux qui étaient partis travailler à la capitale et étaient restés célibataires venaient passer quelques jours de congé l’été ou à Noël.

Ces réceptions étaient simples, mais ces jours-là on sortait les nappes et les serviettes assorties et le beau service de table avec des fleurs bleues au lieu de la toile cirée et de la vaisselle dépareillée de tous les jours.

Marie savait qu’aujourd’hui, elle ne pourrait pas rester à rêver en regardant les nuages. Elle était l’aînée des filles et sa mère comptait sur elle.

Elle s’habilla et se coiffa rapidement et descendit dans la salle. Son père et ses frères étaient déjà partis traire les vaches avant de les conduire aux champs où elles resteraient à paître toute la journée.

Elle déjeuna d’un bol de lait et de tartines de confiture avec sa mère et ses petits frères. Puis elle partit, sans perdre plus de temps, dénicher les œufs du jour. Elle revint très vite chercher les 3 petits qui l’attendaient panier au bras, pour aller aux pissenlits. « Ne prenez que ceux qui ont des feuilles claires et des boutons. S’ils sont en fleurs, c’est trop tard, ils ne sont plus bons à manger ! Compris ! » « Oui Marie ! On y va ! » Les petits s’activaient en riant, se moquant un peu de leur grande sœur qui « se prenait vraiment pour une grande » En les menaçant d’une tape entre les oreilles, elle leur montra comment couper les tiges. « Dépêchez-vous ! Il faut remplir les paniers, sinon vous n’aurez rien à manger ! Allez ! Allez ! » Elle n’était pas toujours commode, Marie, avec les petits. En vérité, ils l’ennuyaient. Elle aurait préféré aller aux champs avec son frère aîné. Mais elle était l’aînée des filles et elle était consciente de sa responsabilité.

« Marie ! Marie ! Antoine m’a tiré les cheveux ! » En larmes, Mélanie, la petite dernière, courait vers les jupes de sa grande sœur pour se faire consoler. « Mais tu es un terrible diable ! Viens ici de suite, sacripant ! » Mais Antoine avait déjà filé au  bout du champ en riant à gorge déployée, sûr de ne rien risquer pour peu que son panier soit plein de pissenlits. C’était un petit garçon malicieux qui taquinait sa petite sœur avec constance, lui tirant les tresses ou la poursuivant en criant à travers la maison et la cour. Elle pleurnichait si facilement que c’en était un plaisir ! Mais gare aux fessées quand il se faisait prendre ! Ni Marie, ni sa mère ne plaisantaient quand la petite arrivait en larmes.

 

Pendant ce temps, Marie et Madeleine remplissaient consciencieusement leurs paniers. Quand elle estima qu’il y en avait assez, Marie battit le rappel «  Revenez maintenant, il y en a assez. On rentre ! » Ils se bousculaient et en riant, ils prirent le chemin du retour. Antoine et Mélanie reprirent leurs jeux de cris et de rires, Marie et Madeleine  allèrent aider leur mère à trier et nettoyer les pissenlits, ne gardant que les feuilles les plus tendres et les plus petits boutons de fleurs. Ils seraient vivement sautés dans la graisse avec des morceaux de ventrèche. En attendant, elles les enroulèrent dans un torchon et les mirent au frais dans la resserre. Il fallait encore tuer les poulets, les plumer, les vider et les laisser aussi reposer dans la resserre pour les faire rôtir demain.  On mit du lait à bouillir avec des œufs et du sucre pour faire un flan, de manière à avoir un dessert pour ce soir. Un gâteau tout simple, auquel on ajouterait de la confiture, cuisait dans le four.

« Les voilà ! Les voilà ! » C’est Antoine, bien sûr, qui entendit la voiture le premier. « Papa ! Maman ! Ils sont arrivés ! » Il partit en courant à la rencontre se son oncle et sa tante ! Mélanie le suivit en criant plus fort et en courant de toutes ses forces. Les autres s’avancèrent pour accueillir les arrivants. Anna avait déjà Mélanie dans les bras et Antoine sautillait autour de Vincent. Ce fut un joli bazar ! D’un coup, tout le monde se mit à parler, on s’embrassait, on se tapait sur l’épaule, et Antoine courait partout. Ils réussirent à sortir leurs paquets de la voiture et entrèrent dans la maison. La nuit tombait déjà. Ils s’installèrent autour de la table dressée, avec des soupirs de satisfaction. Le père sortit une bouteille de vin et remplit les verres. Anna fouilla dans un grand sac et en sortit quelques trésors venus de la ville : du café, du tabac pour la pipe du père, des berlingots pour les enfants, un petit flacon d’eau de Cologne pour la mère.

Ils purent alors se mettre à table joyeusement. Pour une fois, les enfants purent parler sans qu’on leur dise de se taire. Mais on écoutait surtout l’oncle. Il ressemblait beaucoup à son frère, petit, mince, le cheveu noir, des besicles sur le nez, mais avec le teint pâle des citadins. Il n’avait pas voulu rester paysan et était parti très jeune à la ville. Embauché dans un hôtel comme homme à tout faire, il avait épousé la fille du patron et avait vite pris la direction de l’affaire. Un petit hôtel, presque une pension de famille, qui accueillait surtout des pensionnaires et peu de gens de passage. Mais les chantiers du gaz, de l’électricité, du tram, du train, amenaient des ouvriers qui venaient de loin et avaient besoin de se loger. L’hôtel était plein et les affaires marchaient.

Le repas avançait, et Marie, curieuse, se demandait toujours quelle pouvait être cette grande nouvelle. On avait avalé la soupe et les pâtés. On attaquait le plat de pissenlits  qui s’attira les compliments de tous. Madelon donna un coup de coude à sa sœur « Tu as vu ? Tout le monde aime nos pissenlits » Et l’oncle parlait, parlait, parlait, et ne disait rien.

Anna et la mère allaient et venaient, servaient, desservaient, se racontant leurs petites histoires entre elles ; les petits chahutaient. Comme toujours, Madelon ne disait rien, écoutait, regardait, enregistrait. Les grands frères dévoraient, uniquement préoccupés par leur assiette.  Marie n’en pouvait plus et s’agitait sur sa chaise. Un grand projet….c’était intrigant et passionnant…. Qu’est-ce qu’ils allaient donc annoncer ? Et quand ? Ils n’allaient pas attendre demain, tout de même. On arrivait au fromage. Puis au flan et aux fruits. Alors ?.... la mère proposa un peu de café et sortit les tasses et le sucre. Alors ? Marie ne comprenait pas elle-même pourquoi elle était si impatiente. Ce serait sûrement une histoire d’adulte sans intérêt. Mais elle voulait savoir. Voilà.

Enfin, reposant sa tasse vide sur la table, l’oncle s’adossa plus confortablement à sa chaise et se racla la gorge.

« Bon. Alors voilà. Comme je vous l’ai dit, l’hôtel a beaucoup de clients, de plus en plus. Nous avons même transformé les pièces du fond de la cour pour en faire 4 chambres de plus. Et je me suis arrangé avec un chef de chantier, des travaux du tram. Il m’enverra ceux de ses gars qui ont besoin d’une chambre. Et il aura peut-être besoin de casse-croûtes. Et donc nous avons besoin de personnel. »

« Mais vous avez déjà la jeune, là, comment elle s’appelle, donc ? Amélie ? Et elle travaille dur !»

« Oui, oui, et aussi André pour les gros travaux, mais il faut une personne de plus »

La tante prit le relais :

« Nous avons pensé que, peut-être, Marie qui a 16 ans maintenant, pourrait venir travailler chez nous. Elle ferait pratiquement ce qu’elle fait ici, pour t’aider, Thérèse. Elle serait payée comme Amélie, bien sûr, chaque semaine. Et puis, elle serait avec nous. Qu’en penses-tu ? »

Marie n’en croyait pas ses oreilles. Le grand projet c’était ça : lui proposer un travail. Un vrai travail. A la ville. Toute seule. Enfin, presque.

Elle regarda sa mère. Son père. Ils se taisaient. L’oncle et la tante, aussi. Même les petits s’étaient tus. Un grand silence planait dans la salle.

« Faut voir » dit le père en regardant sa femme.  « Faut voir. »

« Et toi, Marie ? Qu’en dis-tu ? »

Tante Anna s’était tournée vers elle, souriante.

« Je , je , je ne sais pas. Il faut voir » Mais quelle réponse ! Quelle réponse ! Elle rougit de sa timidité, de sa bêtise. Mais que dire, là. Quelle idée d’annoncer ça sans prévenir. Non, elle ne savait pas. Pas encore.

« Tu as bien le temps d’y penser, va. Ce serait pour commencer en septembre. Ça vous laisse le temps et on en reparlera. »

« Tu as raison, Anna- dit le père- on en reparlera tranquillement. Mais c’est bien aimable d’avoir pensé à Marie. Oui, vraiment, ça nous touche. N’est-ce pas, Thérèse ? »

« Oh, oui, Anna » et Thérèse alla embrasser Anna.

Marie écoutait sans entendre. Elle était flattée qu’on eût pensé à elle. C’était tentant. Mais, partir. … se retrouver seule… Enfin, pas seule, il y avait tonton Vincent et Tante Anna. Elle les aimait bien, mais ils l’intimidaient toujours un peu. Elle surprit le regard sévère de sa mère posé sur elle. Elle avait laissé les autres s’occuper de la table. Elle se leva machinalement, lentement et attrapa un torchon pour essuyer la vaisselle que sa mère et sa tante se mirent à laver. Mais tout en s’acquittant de cette tâche routinière, elle laissait son imagination vagabonder. Comment était l’hôtel ? Elle ne l’avait jamais vu. Pas neuf, c’est sûr. Mais propre, sûrement. Des pensionnaires ? Ses frères étaient pensionnaires. Au Collège. Mais à l’hôtel, qu’est-ce que ça pouvait bien être, des pensionnaires ? Pas des gamins, sans doute. Et le travail ? Quel travail on pouvait bien faire, dans un hôtel ?

« Marie, arrête de rêver ! Ton torchon est trempé, tiens, prends–en un autre. Et dépêche-toi un peu ! » Elle obéit, confuse sous le regard de Madeleine, petite fille calme de 10 ans, qui parlait peu mais observait tout de ses grands yeux noirs et gardait tout ce qu’elle voyait et entendait au fond de sa mémoire.

Elle s’approcha de Marie et lui tapota la main, pour attirer son attention

« Tu vas partir ? »

Marie la serra contre elle et lui dit, comme un secret  « peut-être ».

©Marie Célanie

 

 

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Elle s'appelait Marie - Chapitre 2

Publié le par Marie Célanie

Chapitre 2

La mère souffla un peu en s’asseyant et se servit une tasse de café.

« Voyons, ils seraient 10 à table, comme chaque fois que Vincent et Anna venaient les voir. » Vincent était l’un des frères de son mari et, avec sa femme Anna, ils tenaient un hôtel, à Pau. Ils arrivaient dans leur voiture, une vieille 202 dans laquelle ils promenaient les enfants à tour de rôle, sans qu’ils ne s’en lassent jamais.

Marie s’approcha « Tu vas tuer des poulets pour dimanche ? Un seul, ce serait trop juste, pour 10. Il en faudrait deux. »

« Oui, tu penses bien, oui. Les cous et les gésiers iront dans la soupe. Mais que préparer avec les poulets ? Et samedi soir ? »

« Il reste des bocaux de haricots verts et aussi de piperade, ça pourrait aller, avec des haricots secs. Et tu sais, j’ai vu beaucoup de pissenlits dans les champs, si tu veux, j’irai les cueillir avec les petits. Ils vont bien s’amuser et courir en même temps. Tu pourrais les préparer avec de la ventrèche. Et il y a toujours des œufs, du jambon et des pâtés ! Avec du pain, ça devrait aller. Tu ne crois pas ? »

« Mais oui ! Quelle bonne idée ! Tu iras les ramasser samedi matin, après avoir cherché les œufs. Mais il ne faudra pas traîner, cette fois, hein ! »

« Et je vais faire un flan, et il reste des pommes. Et des noix » Son menu presque prêt, la mère se leva en s’appuyant à deux mains sur la table.

« Ah ! J’oubliais, Marie, il faudra aller porter des œufs à l’épicerie, tu les échangeras contre du sucre, de l’huile, du beurre et de la farine. »

L’argent liquide était rare, et l’épicier et le boulanger acceptaient les produits de la ferme en paiement : les œufs, bien sûr, mais aussi parfois les pâtés, les poulets, les légumes et les fruits. Tout le monde y trouvait son compte.

A la belle saison, le jardin fournissait des légumes dont le surplus était mis en bocaux pour l’hiver, et les fruits du verger pommes, poires, pêches dures mais si parfumées, sans oublier les figues noires et juteuses, finissaient en confitures, qui seraient dévorées au déjeuner et au goûter.

Un immense noyer donnait une ombre appréciable, à l’entrée de la cour, et des noix à profusion. On les gardait sèches, avec les pommes.

Il y avait aussi quelques pieds de vigne dont on tirait un vin acide à l’automne : une ou deux barriques qui suffisaient à la consommation familiale.

Marie aidait sa mère dans la maison, au jardin, au poulailler, à soigner les lapins et le cochon,  quand elle n’était pas au Cours Complémentaire où elle apprenait, entre autres, et sans passion, à coudre et à cuisiner. Mais la mère avait décidé que ses filles ne connaîtraient pas la misère des travaux des champs, pas de traite des vaches, non plus. Ses filles iraient travailler ailleurs qu’à la ferme. Donc Marie, la plus grande des trois, allait au Cours Complémentaire, et Madeleine et Mélanie en feraient autant quand leur tour viendrait.

Pour l’heure, il fallait prévoir la chambre où allaient dormir Vincent et Anna. Depuis la mort du grand-père, sa chambre accueillait les visiteurs de passage : Vincent et Anna, et les autres frères et sœurs, neveux ou nièces qui passaient les voir.

On entrait dans la maison directement par la salle, grande pièce s’ouvrant sur la cour par la porte d’entrée et sur les champs par de petites fenêtres, dont l’une au-dessus de l’évier, près de la cuisinière à bois et de la grande cheminée. Au fond de la salle 2 portes : l’une donnant sur la resserre, l’autre sur la grange qui elle-même communiquait avec l’étable. De l’autre côté, une seule porte donnant sur un couloir obscur desservant 2 chambres : celles des parents et celle du grand-père. A l’étage, et au-dessus un grenier, on trouvait encore 3 chambres qui servaient aux enfants. Une grande et vieille maison.

Donc, la chambre. Marie et sa mère commencèrent par ouvrir la fenêtre pour aérer. Elles prirent le gros édredon de plumes et allèrent l’étaler au soleil sur le dossier de 3 chaises. Tout à l’heure, armées de bâtons de noisetier, elles viendraient le battre et le secouer pour le débarrasser de toute poussière.

« Qu’est-ce que ça peut être, leur grand projet ? »

« Oh ! Avec Vincent, tout est possible ! Vendre leur hôtel, changer le mobilier, agrandir, fermer ! Va savoir ! Tu peux tout imaginer et tu te tromperas ! On le saura bien assez tôt, va ! »

« Ils vont peut-être avoir un bébé ? »

La mère se redressa : « ça non, ce n’est pas possible. Anna ne peut pas avoir d’enfants. Et ça la rend bien malheureuse, la pauvre. C’est pour ça qu’elle vous gâte autant ! Vous êtes les enfants qu’elle n’a pas eus »

Marie resta songeuse devant cette révélation. On ne lui en avait jamais parlé auparavant. C’est donc qu’on la considérait assez grande désormais pour partager les secrets de famille. Elle en était contente, mais être grande pour les secrets…c’était être grande pour tout. Elle n’était pas sûre d’être si grande que ça, finalement.

Elles portèrent les oreillers et le traversin dans la cour. Puis elles  se mirent au ménage : la chambre était restée fermée depuis Noël !  Un coup de balai ne serait pas du luxe !

Elles firent le lit avec des draps propres qui gardaient l’odeur des brins de lavande qu’elles avaient glissé dans l’armoire, l’été dernier. Elles enveloppèrent l’édredon d’une  housse et le recouvrirent d’une courtepointe rouge.

Elles vérifièrent la propreté des pots de chambre dans chaque table de nuit et du grand seau émaillé, à côté de la table de toilette. Samedi matin, Marie remplirait le broc qui accompagnait  la cuvette sur le marbre de la table et poserait des serviettes de coton à « nids d’abeille », pièces du trousseau de la mère. Il faudrait bientôt commencer à penser à celui de Marie, de trousseau. La mère soupira !

Elle regarda sa fille avec tendresse. Elle aurait bientôt 16 ans. Déjà !

Elle se souvenait de sa naissance. Ce moment si fort. Quand elle y pensait, elle avait comme un petit coup au cœur. Elle revivait l’instant où Elise, la sage-femme, rebouteuse, guérisseuse, un peu sorcière, la lui avait mise dans les bras « Voici ta fille » avait-elle dit solennellement. La petite, à peine essuyée, posée sur un drap sur sa poitrine, gigotait en pleurant, agitant ses jambes et ses bras de mouvements doux et indécis, presqu’inachevés. Ses cheveux noirs, mouillés, collaient à son crâne. Elle avait ouvert les yeux et regardé sa mère. Qui l’avait regardée à son tour. Un courant, un lien entre elles. La mère. La fille. Semblables. Issues d’une longue  lignée de femmes, de mères, de filles. Ce fut fulgurant et intense. Et en la serrant contre elle, elle lui promit « toi, je ne laisserai personne te faire de mal »

Elise la reprit pour la laver et l’habiller, mais ensuite,elle ne voulut pas qu’on la posât dans son berceau, elle la garda contre elle et elles s’endormirent ensemble.

Et maintenant, elle avait 16 ans. Elle était grande et forte, bien campée sur ses jambes. Solide. Belle.

Depuis peu, elle attachait ses longs cheveux noirs en un lourd chignon sur la nuque, abandonnant ses tresses d’enfant, rêvassait à la fenêtre. Elle changeait.

Bientôt, elle partirait, pour un travail ou pour un homme, et elle aussi vivrait cet éblouissement. Un jour.

La nuit tombait doucement. Les jours s’allongeaient. Bientôt le printemps serait là. Déjà les hirondelles striaient le ciel dans la journée et le soir, on voyait les chauves-souris voler à l’entour. Le père s’installa avec sa pipe dans la cour, profitant des dernières lueurs. Tout était calme. Les vaches étaient dans l’étable, les volailles dans le poulailler. On n’entendait plus que les crapauds et les grenouilles. Il était temps d’aller dormir.

©Marie Célanie

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Elle s'appelait Marie - Chapitre 1

Publié le par Marie Célanie

 

CHAPITRE UN

« MARIE ! MARIE ! MA-A-A-RIE ! » La mère s’époumonait à la porte de la salle. « Mais où est-elle encore passée, cette petite ! Marie ! Marie ! »

« Madelon, viens donc, petite. Tu vas aller chercher Marie. Les hommes vont rentrer, je vais tremper la soupe. Elle doit être dans le champ. Vas-y, et ramène-la, je te prie. »

La petite fila en courant, quittant la fraîcheur obscure de la salle pour traverser la cour ensoleillée. Elle poussa la barrière et la referma soigneusement derrière elle, comme on le lui avait appris et s’avança dans le champ en appelant sa grande sœur. Les vaches la regardèrent passer en continuant à paître, sans bouger.

Sa sœur était là, couchée dans l’herbe, pieds nus, ses paniers pleins d’œufs posés près de ses galoches.

« Mais qu’est-ce que tu fais ? Maman t’appelle, elle trempe la soupe. Les hommes vont rentrer ! »

« Déjà ! Je n’ai pas vu passer le temps. J’arrive. »

Vite, vite, elle se rechaussa, ramassa ses œufs et se prépara à rentrer. La petite trottinait pour se maintenir à son niveau. « Dis, tu me montreras comment trouver les œufs ? » Marie sourit et la prit par la main. Chaque matin, elle partait ramasser les œufs et elle disparaissait. La mère rouspétait un peu, pour la forme, mais la laissait faire. C’est qu’elle avait fini par acquérir une belle expérience dans le ramassage des œufs ! Elle ne s’occupait pas des poules qui couvaient dans le poulailler. C’était trop facile ! Non, elle partait à la recherche des œufs pondus par les poules aventureuses, un peu partout dans la ferme.

Elle commençait toujours par l’étable. Il y régnait une moiteur tiède et odorante, mélange de foin, de purin et de lait, et les vaches et les poules faisaient bon ménage. Il lui était arrivé de trouver un nid dans la mangeoire, creusé dans le foin. Alors, elle faisait le tour avec soin, essayant d’éviter de marcher dans les litières souillées. Elle montait ensuite au grenier, au-dessus de l’étable, d’où on faisait tomber le foin par des trappes au-dessus des mangeoires. Les poules y étaient nombreuses à faire leurs nids. Il fallait les déloger : elle criait, frappait dans ses mains et les poules fuyaient en piaillant, dans un nuage de plumes et de poussières. Elle déposait avec soin les œufs dans deux petits paniers sphériques en métal. Quand elle était sûre d’avoir tout ramassé, elle redescendait avec précaution par l’escalier raide et poussiéreux et partait dans la grange. Il lui fallait regarder partout : tout espace pouvait servir de nid. C’était long, mais elle aimait ça. Pendant quelques heures, elle était seule, loin des tâches ménagères et de la cuisine, libre de faire ce qu’elle voulait, ou presque.  Elle n’aurait donné sa place pour rien au monde.

Elle fouillait aussi la cour. Parfois, au pied du mur, une poulette imprudente se cachait se croyant à l’abri. Ensuite, elle entrait dans le champ, au bout de la cour. Elle connaissait les habitudes des poules et trouvait facilement les nids, si bien cachés soient-ils.

Quand ses paniers étaient pleins, et s’il faisait beau, elle s’allongeait dans l’herbe, enlevait ses chaussures et ses bas et regardait passer les nuages. Elle ne pensait à rien de précis ou à trop de choses en même temps. Elle laissait le soleil réchauffer son corps, s’assoupissait un instant, oubliant l’heure. C’était son secret. La mère grondait un peu sur le temps perdu, mais tant qu’elle ramenait des œufs…

Aujourd’hui, il faisait beau et presque chaud. Le soleil de printemps glissait entre les nuages. La pluie s’était arrêtée et les températures remontaient. Pâques serait bientôt là et c’est elle qui cacherait les œufs pour que les petits les trouvent.

Le dimanche de Pâques, quand les cloches sonnaient, après la messe, les 3 petits s’échappaient en criant pour chercher les œufs que les cloches avaient lâchés en revenant de Rome. Il fallait les voir courir, crier et revenir vers les grands, surexcités, les poches pleines d’œufs durs qu’on mangerait après la soupe.

En attendant, il fallait rentrer. Dès qu’elles passèrent la porte de la salle, la mère s’écria « Dépêche-toi un peu ! Mais où étais-tu donc ? Mais regarde-toi ! Tu as de l’herbe jusque dans les cheveux ! Occupe-toi des œufs et aide les petites pour mettre le couvert ! »

Sans répondre, Marie posa ses paniers sur l’évier et emplit une casserole d’eau. Délicatement, elle y déposa les œufs et élimina ceux qui flottaient, signe qu’ils n’étaient plus très frais. Elle alla chercher une vieille boîte à biscuits en fer dans la resserre et la garnit de papier journal. Sur la pierre d’évier, elle étendit un chiffon propre et y déposa les œufs restant, un à un, et les couvrit d’un autre chiffon. Puis, presque tendrement, elle les déposa dans la boîte sur laquelle elle écrivit la date du jour avec un bout de craie et ramena les œufs dans la resserre.

Les petites avaient sorti les couverts du tiroir de la grande table. Marie passa rapidement un chiffon sur la nappe en toile cirée, puis elle alla chercher des assiettes dans le buffet, puis les verres et les timbales, que les petites étalèrent sur la table, ensuite Madelon prit les serviettes dans le tiroir : chacun avait sa façon de plier sa serviette, de manière à  pouvoir la retrouver facilement, et les distribua, rendant à chacun la sienne. Marie posa le litre de vin et un pichet d’eau sur la table, un gros pain à peine rassis et le vieux dessous de plat un peu rouillé.

Voilà, tout était prêt ! Les hommes pouvaient rentrer des champs à présent.

Il y eut un bruit dans la cour :

 arrivait à bicyclette : le facteur.

« Bonjour ! Bonjour ! Il y a quelqu’un ? »

La mère vint sur le seuil pour l’accueillir. « Bonjour Baptiste. Il fait chaud aujourd’hui. Entrez donc vous rafraîchir » Marie apportait déjà un verre de vin.

« Merci bien, ma belle. Mais il faut que je continue. Tenez, vous avez une lettre de Pau. Le beau-frère, sans doute ? »

Il tendit la lettre et le journal à la mère, tout en buvant son verre de vin. Si le père avait été là, ils auraient sans doute discuté un peu. Mais là, il salua d’un coup de casquette et remonta sur son vélo. La tournée n’était pas finie.

La mère posa la lettre sur le buffet. Sans doute Vincent, oui. Sûrement pour annoncer leur venue, à lui et sa femme. Elle attendrait que tout le monde soit là pour l’ouvrir.

Mais déjà le père et les garçons arrivaient. Ils se rincèrent vivement le visage et les bras à la pompe dans la cour, s’essuyant avec leurs grands mouchoirs, et entrèrent dans la salle. Quand toute la famille fut réunie autour de la table et de la soupière fumante, le père récita le Bénédicité, la mère veillant à ce que chacun baissât la tête « Bénissez-nous Seigneur, bénissez ce repas, ceux qui l’ont préparé, et donnez du pain à ceux qui n’en n’ont pas » « Amen ». Tous s’assirent dans un grand bruit de chaises. Le père coupa de belles tranches de pain et la mère servit la soupe dans laquelle elle avait fait tremper du pain rassis qui avait eu le temps de s’imbiber de tous les parfums du bouillon. Pendant un moment on n’entendit plus que le bruit des cuillères cognant sur les assiettes.  Puis le père raconta qu’ils avaient eu du mal avec le champ de pommes de terre. Avec toute cette pluie, la terre n’était que de la boue. Le blé pointait joliment. Il faudrait bientôt semer le maïs et les haricots. Et il allait falloir penser à s’occuper du jardin. Les 3 petits, Antoine, Madelon et Mélanie chahutaient et se lançaient des coups de pied sous la table ; les 2 grands, Pierre et Jean, écoutaient le père. Ils allaient devoir travailler encore avant de rentrer au Collège. Les deux chiens, mendiaient en agitant leur queue, tentant leur chance auprès de chacun. On leur lançait une croûte de pain pour avoir la paix.

Après la soupe, Marie alla chercher le plat de saucisses et de haricots, et un gros morceau de fromage. Quand ils en furent aux pommes ridées et presque sèches, la mère décida d’ouvrir et de lire la lettre du beau-frère.

« Pau le 15 mars,

Mes bien chers,

J’espère que cette lettre vous trouvera tous en bonne santé et que les rhumes et les toux de l’hiver sont bien finis ! Ici nous avons très beau temps depuis quelques jours, ce doit être pareil pour vous et c’est bien agréable après les pluies passées.

Je vous écris pour vous annoncer notre venue pour dimanche 20. Si cela ne vous gêne pas, nous arriverons samedi soir et repartirons dimanche soir, comme d’habitude.

Nous avons, Anna et moi, un grand projet dont nous voulons vous parler.

Nous vous embrassons tous bien fort

Vincent et Anna »

« Eh bien ! C’est une bonne nouvelle ! Non ? » Le père roula sa cigarette, l’alluma et alla s’asseoir sur le pas de la porte, au soleil.

Marie, sa mère et ses petites sœurs débarrassèrent, empilant la vaisselle sale dans l’évier. Marie passa un chiffon humide sur la toile cirée. La mère prit la bassine sous l’évier et y versa l’eau qui chauffait sur la cuisinière et commença à laver les verres ; les petites vidaient les assiettes dans un seau qui avait déjà reçu les épluchures de légumes. On le porterait aux cochons plus tard.

Marie essuyait les verres, les assiettes et les plats, les petites, les couverts et tout ce qui ne risquait pas de se casser.

Sa cigarette finie, le père rentra donnant ainsi le signal de la sieste. Pendant une heure ou deux, la maison allait s’assoupir, volets fermés, chacun allait se reposer avant de repartir aux champs. On s’occuperait de Vincent après.

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Elle s'appelait Marie

Publié le par Marie-Françoise Saulue-Laborde

Elle s'appelait Marie

Prologue

Armand marchait d’un bon pas. Il approchait de la ferme familiale et se réjouissait d’arriver au bout du voyage.

On était lundi et il était parti dimanche matin. Très tôt pour attraper un train, qui après de nombreux arrêts l’avait conduit à Bordeaux, où il avait attendu longtemps une correspondance pour Périgueux. Il avait dormi sur un banc de la gare avant de monter dans un car qui l’avait déposé à 20 km de chez lui.

20 km à pied, cela ne lui faisait pas peur.

Il avait laissé le plus gros de ses affaires à l’hôtel où il retournerait bientôt et avait adopté un sac porté par les troupes de scouts rencontrées ici ou là. Le sac sur le dos, il marchait, les mains libres, ses vêtements roulés à l’abri.

Il lui restait du pain et un bout de saucisson, une pomme flétrie et un fond de vin. Il trouverait bien une fontaine pour s’abreuver sur le chemin.

Il marchait, les mains dans les poches, le béret sur la tête, au milieu de la route, en sifflotant. Il faisait bon en ce début du mois de juillet. Dans les champs de blé, les moissonneurs se mettaient en place. Il les saluait en passant, d’un grand coup de béret. Ils lui répondaient joyeusement : on le reconnaissait ! « C’est le petit de chez Moreau ! Te revoilà donc ! »

Il rentrait chez lui. Plus tôt que prévu. Si sa lettre était bien arrivée, on devait l’attendre. De pied ferme. Il s’était mis en route très vite après l’avoir écrite. Sans attendre.© Un peu anxieux des réactions, mais il se faisait fort de les convaincre. Quand ils verraient la photo de sa petite Marie, ils comprendraient. Au dos elle avait écrit de son écriture appliquée d’écolière : « Pour Armand, en souvenir de sa petite Marie » et elle avait signé : Marie. En riant !

Il se souvenait comment il l’avait entraînée dans la boutique d’un photographe qui avait fait leurs portraits. Ensuite, chacun avait gardé le portrait de l’autre.

Et ils allaient se marier. Très vite. Et il revenait pour obtenir le consentement et la bénédiction de ses parents. Pour la noce. Ensuite, il irait voir les parents de Marie, pour demander sa main. Et ainsi le bébé naîtrait à l’abri.

Il souriait en marchant. La petite Marie !.... il l’aimait tant !..... il lui semblait qu’elle cheminait à ses côtés…..

« GAREZ-VOUS ! GAREZ-VOUS ! Le cheval ! Je ne le tiens plus ! GAREZ-VOUS ! »

A l’instant où il se retourna, il entendit le galop frénétique, mais le cheval était déjà sur lui. Son poitrail le heurta violemment tandis qu’il hennissait, le renversant sur la route. Les sabots le piétinèrent, entraînant la carriole dont les roues écrasèrent son torse et ses jambes.

Le cheval se calma quelques mètres plus loin, renâclant, écumant tremblant encore de peur.

Son maître descendit et courut vers Armand, couché et cassé. Couvert de sang.

« Mon Dieu ! Mais c’est le fils Moreau, c’est Armand ! Oh ! Seigneur ! Quel malheur ! Quel malheur ! »

Des champs alentours accouraient des hommes et des femmes effarés. Il n’y avait plus rien à faire : le bel Armand était mort.

« Je vais les prévenir » dit quelqu’un qui partit en courant.

Le conducteur de la carriole, triturait sa casquette entre ses grosses mains, tentait de comprendre, d’expliquer : le cheval avait été agacé puis piqué par un frelon et s’était emballé. Armand l’avait vu trop tard. Quel malheur, mais quel malheur !

 

©Marie Célanie

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