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Elle s'appelait Marie- Chapitre 7

Publié le par Marie Célanie

  Chapitre 7

 

 

 

     Pau, le 20 Octobre

 

Ma chère Elisabeth, ma chère Marguerite,

 

 

C’est seulement aujourd’hui que je peux vous écrire. Mes journées passent vite et je n’ai pas beaucoup de temps.

Mais, aujourd’hui, j’ai décidé de vous donner de mes nouvelles.

Comme prévu, nous sommes partis de la ferme le 30 septembre. Monsieur Lafont nous a conduits à la gare dans la voiture de l’épicerie, mon père, ma mère et moi.

Nous avons pris le train ! Vous imaginez ! Quelle vitesse ! Et on suivait les montagnes tout le long du voyage !

Pour dire le vrai, le train, c’est rapide, mais pas très confortable : au bout d’un moment, les banquettes en bois vous rentrent dans le dos, dans les cuisses ! Heureusement qu’on peut se lever  de temps en temps !

Mais arrivés à Pau, mon oncle nous attendait dans sa voiture et nous sommes vite arrivés à l’hôtel. 

Que de maisons ! Mes amies, je n’en croyais pas mes yeux ! Et ce monde partout ! Ah ça change de chez nous !

L’hôtel s’appelle « L’Hôtel ».Il n’a pas de nom. Et il est tout petit. Enfin, pas très grand. Au rez-de-chaussée, il y a la salle avec le bar de mon oncle où il sert à boire. Derrière, il y a la cuisine et la remise, et puis une cour avec quelques bâtiments. Ils devaient y faire des chambres, mais ça ne s’est pas fait. Je ne sais pas pourquoi.

Quand on vient à l’hôtel, on passe par une petite porte de côté et un escalier monte dans les chambres. De l’autre côté du couloir, c’est l’appartement de mon oncle et ma tante. Au premier étage, il y a 6 chambres de part et d’autre  du couloir : 3 donnent sur la rue, 3 sur la cour. Et au 2ème, il y a 3 chambres de bonnes : la mienne, celle d’Amélie et la dernière qui est vide.

6 chambres, ça paraît peu, mais c’est beaucoup de travail. Et pas très agréable, je vous assure !

Mon travail ressemble beaucoup à ce que je faisais chez nous. *On se lève tôt, on déjeune vite dans la salle et ensuite on travaille.

Les pensionnaires (c’est comme ça qu’ils disent, les pensionnaires) viennent avaler un café et on leur prépare leur gamelle pour midi sur le chantier : soit un casse-croûte au jambon ou au fromage, ¼ litre de vin, 1 pomme. Ou le reste du repas de la veille. Ça dépend s’ils ont de l’argent ou pas.

Amélie et moi, on prépare les casse-croûte, et l’oncle note dans un cahier qui prend quoi. Il fait les comptes à la fin de la semaine et ils lui payent ce qu’ils lui doivent. Comme nous chez la boulangère. Je ne sais pas s’il y a des clients qui ne sont pas des pensionnaires, en tout cas, je n’en ai pas encore vus.

Quand ils sont tous partis, on s’occupe des chambres : ranger, tirer les draps, aérer, faire la poussière, vider les pots, les cuvettes, les seaux, passer la serpillière. Ah ! Vous ne savez pas ce que c’est une serpillière ? Un chiffon pour le sol. Ensuite, On va aider la tante pour le repas. C’est elle qui cuisine. Nous, Amélie et moi, on fait ce qu’elle nous dit : on épluche les légumes, on coupe le lard et le jambon, on fait les vinaigrettes. Ce genre de choses. On dresse le couvert sur les tables de la salle, et on mange, vite, vite vers 11h. A midi arrivent quelques personnes pour déjeuner (oui, il paraît qu’en français on déjeune à midi, on ne dîne pas). On les sert et quand ils s’en vont, on fait la vaisselle, avec un frère d’Amélie qui aide un peu pour tout.

Et, là, on peut se reposer. Et ce n’est pas de trop ! Et vers 5h, on retourne aider pour le repas du soir, faire la vaisselle, nettoyer la salle. Ensuite on va se coucher. Et je peux vous dire que je m’endors bien vite !

Mais, je vous raconterai tout ça bientôt, quand je viendrai passer un dimanche chez nous.

Ecrivez-moi pour me raconter ce que vous faites sans moi. Avez-vous trouvé un travail, vous aussi ? Ou un amoureux ?

A bientôt mes amies.

Grosses bises à toutes les deux.

 

Votre amie

 

Marie

 

 

 

 

                                                                                                                                                                                                     Pau, le 20 octobre,

 

Chers tous,

J’espère que ma lettre vous trouvera en bonne santé.

Je vais bien, rassurez-vous. Mais le travail est un peu fatigant. Cependant, je fais de mon mieux et vous n’aurez pas à rougir de moi.

Je ne sais pas ce qu’en pensent l’oncle et la tante, car ils ne me parlent guère. Sans doute ne veulent-ils pas laisser croire qu’ils font des préférences avec leur

nièce.

Ne vous inquiétez pas, je m’habitue bien. Mais vous me manquez tous ! Même ce diable d’Antoine ! Ecrivez-moi, ça me fera plaisir.

Je fais comme vous me l’avez dit : pour l’instant, je garde mon argent pour acheter ce qui pourrait me manquer. Je vais devoir chercher un tablier de plus, car les miens se salissent vite et le linge sèche mal ici.

Tout le monde est gentil avec moi et je pense que je vais me plaire, ici.

Quand je serai bien habituée, je crois que j’irai me promener un peu en ville et voir le château. Et aussi le grand parc. Mais pour l’instant, quand j’ai fini de travailler, je dors, et le dimanche aussi, après la messe.

Vous voyez, tout va bien. Donnez-moi de vos nouvelles.

Grosses bises à tous,

Votre fille

Marie

                                                                                         Pau, le 20 octobre,

 

 

 

                                       Mon cher Pierre,

 

Tu ne peux pas savoir comme je suis malheureuse, ici ! Chaque soir, je m’endors en pleurant, et le matin je me réveille en pleurant.

Le travail ici est fatigant. Il y a ces escaliers à monter et descendre tant de fois dans la journée ! Et vite, vite car il y a tant à faire !

Les chambres quand on y entre pour faire le ménage, sentent…..C’est pire que la loge aux cochons ! Et il faut y entrer et y travailler : tirer les draps, ranger ce qui traîne, ouvrir les fenêtres. Et surtout vider les seaux, les pots de chambre (avec tout ce qu’il y a dedans), les cuvettes….Le premier jour, j’ai vomi mon déjeuner. Et Amélie s’est bien moquée de moi ! C’est répugnant, Pierre ! Et il faut le faire tous les matins. Bien sûr, je le faisais chez nous. Mais ce n’était pas pareil. Pas du tout. Je ne sais pas si je pourrai continuer. Je tiens pour les parents, pour ne pas leur faire honte et pour gagner un peu d’argent. Ils en ont tellement besoin ! Je le sais bien.

Mais, tu sais, ce n’est pas le pire. Non. Le pire, c’est que personne ne me parle. On me donne des ordres, ça oui ! A longueur de journée! Mais me parler ? Non. L’oncle, un peu, parfois il me demande « Alors, petite, tu t’en sors ? »

Mais la tante ! Ah ! C’est bien fini les sourires et les câlins, tu peux me croire !

C’est « Marie, fais ceci, fais cela, pense à ça, n’oublie pas » Et elle n’est jamais contente. Elle m’observe, l’air sévère, et elle guette. La faute, l’erreur, la bêtise. Qui arrive à chaque fois, bien sûr. Je courbe le dos et je me retiens de pleurer. Sinon, elle me traite de mijaurée. Parfois, je ne sais plus que faire. Et je n’ose plus bouger. Pourquoi m’avoir fait venir ? Je te le demande !

Et tous ces hommes dans la salle qui nous regardent d’un œil sale quand on pose la soupe sur la table…ça me fait honte, tu sais.

Je pensais trouver une amie, ou au moins une compagne avec Amélie. Mais elle est sournoise et méchante. Elle me regarde par en-dessous, avec un petit sourire en coin et elle ricane quand la tante s’en prend à moi. Pour être juste, la tante s’en prend à elle aussi. La tante s’en prend à tout le monde. On dirait qu’elle n’est contente que quand elle nous a tous fait pleurer. Alors, là, elle se redresse, fait demi-tour et rentre chez elle.

Quand on m’a montré ma chambre sous le toit, j’étais contente, car par la lucarne, je pouvais voir les montagnes et le ciel. Mais je n’ai pas beaucoup le temps de les regarder, tu sais.

La maison me manque. Sentir l’herbe sous mes pieds dans les champs, la bonne odeur chaude de l’étable avec nos vaches couvertes de crotte, mais si belles et si douces ! L’odeur du foin dans le grenier quand j’allais chercher les œufs…

Ici, il y a une odeur de sale partout.

Je n’ai rien dit aux parents, ils seraient trop malheureux. Il n’y a qu’à toi que je peux parler, mon Pierre ! N’en parle pas non plus, je te prie. Mais écris-moi. Donne-moi de vos nouvelles à tous et des tiennes, de tes études. Que je puisse rêver un peu. Je t’embrasse bien fort

Ta petite sœur bien malheureuse,

Marie

 

 

©Marie Célanie

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