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Elle s'appelait Marie - Chapitre 1

Publié le par Marie Célanie

 

CHAPITRE UN

« MARIE ! MARIE ! MA-A-A-RIE ! » La mère s’époumonait à la porte de la salle. « Mais où est-elle encore passée, cette petite ! Marie ! Marie ! »

« Madelon, viens donc, petite. Tu vas aller chercher Marie. Les hommes vont rentrer, je vais tremper la soupe. Elle doit être dans le champ. Vas-y, et ramène-la, je te prie. »

La petite fila en courant, quittant la fraîcheur obscure de la salle pour traverser la cour ensoleillée. Elle poussa la barrière et la referma soigneusement derrière elle, comme on le lui avait appris et s’avança dans le champ en appelant sa grande sœur. Les vaches la regardèrent passer en continuant à paître, sans bouger.

Sa sœur était là, couchée dans l’herbe, pieds nus, ses paniers pleins d’œufs posés près de ses galoches.

« Mais qu’est-ce que tu fais ? Maman t’appelle, elle trempe la soupe. Les hommes vont rentrer ! »

« Déjà ! Je n’ai pas vu passer le temps. J’arrive. »

Vite, vite, elle se rechaussa, ramassa ses œufs et se prépara à rentrer. La petite trottinait pour se maintenir à son niveau. « Dis, tu me montreras comment trouver les œufs ? » Marie sourit et la prit par la main. Chaque matin, elle partait ramasser les œufs et elle disparaissait. La mère rouspétait un peu, pour la forme, mais la laissait faire. C’est qu’elle avait fini par acquérir une belle expérience dans le ramassage des œufs ! Elle ne s’occupait pas des poules qui couvaient dans le poulailler. C’était trop facile ! Non, elle partait à la recherche des œufs pondus par les poules aventureuses, un peu partout dans la ferme.

Elle commençait toujours par l’étable. Il y régnait une moiteur tiède et odorante, mélange de foin, de purin et de lait, et les vaches et les poules faisaient bon ménage. Il lui était arrivé de trouver un nid dans la mangeoire, creusé dans le foin. Alors, elle faisait le tour avec soin, essayant d’éviter de marcher dans les litières souillées. Elle montait ensuite au grenier, au-dessus de l’étable, d’où on faisait tomber le foin par des trappes au-dessus des mangeoires. Les poules y étaient nombreuses à faire leurs nids. Il fallait les déloger : elle criait, frappait dans ses mains et les poules fuyaient en piaillant, dans un nuage de plumes et de poussières. Elle déposait avec soin les œufs dans deux petits paniers sphériques en métal. Quand elle était sûre d’avoir tout ramassé, elle redescendait avec précaution par l’escalier raide et poussiéreux et partait dans la grange. Il lui fallait regarder partout : tout espace pouvait servir de nid. C’était long, mais elle aimait ça. Pendant quelques heures, elle était seule, loin des tâches ménagères et de la cuisine, libre de faire ce qu’elle voulait, ou presque.  Elle n’aurait donné sa place pour rien au monde.

Elle fouillait aussi la cour. Parfois, au pied du mur, une poulette imprudente se cachait se croyant à l’abri. Ensuite, elle entrait dans le champ, au bout de la cour. Elle connaissait les habitudes des poules et trouvait facilement les nids, si bien cachés soient-ils.

Quand ses paniers étaient pleins, et s’il faisait beau, elle s’allongeait dans l’herbe, enlevait ses chaussures et ses bas et regardait passer les nuages. Elle ne pensait à rien de précis ou à trop de choses en même temps. Elle laissait le soleil réchauffer son corps, s’assoupissait un instant, oubliant l’heure. C’était son secret. La mère grondait un peu sur le temps perdu, mais tant qu’elle ramenait des œufs…

Aujourd’hui, il faisait beau et presque chaud. Le soleil de printemps glissait entre les nuages. La pluie s’était arrêtée et les températures remontaient. Pâques serait bientôt là et c’est elle qui cacherait les œufs pour que les petits les trouvent.

Le dimanche de Pâques, quand les cloches sonnaient, après la messe, les 3 petits s’échappaient en criant pour chercher les œufs que les cloches avaient lâchés en revenant de Rome. Il fallait les voir courir, crier et revenir vers les grands, surexcités, les poches pleines d’œufs durs qu’on mangerait après la soupe.

En attendant, il fallait rentrer. Dès qu’elles passèrent la porte de la salle, la mère s’écria « Dépêche-toi un peu ! Mais où étais-tu donc ? Mais regarde-toi ! Tu as de l’herbe jusque dans les cheveux ! Occupe-toi des œufs et aide les petites pour mettre le couvert ! »

Sans répondre, Marie posa ses paniers sur l’évier et emplit une casserole d’eau. Délicatement, elle y déposa les œufs et élimina ceux qui flottaient, signe qu’ils n’étaient plus très frais. Elle alla chercher une vieille boîte à biscuits en fer dans la resserre et la garnit de papier journal. Sur la pierre d’évier, elle étendit un chiffon propre et y déposa les œufs restant, un à un, et les couvrit d’un autre chiffon. Puis, presque tendrement, elle les déposa dans la boîte sur laquelle elle écrivit la date du jour avec un bout de craie et ramena les œufs dans la resserre.

Les petites avaient sorti les couverts du tiroir de la grande table. Marie passa rapidement un chiffon sur la nappe en toile cirée, puis elle alla chercher des assiettes dans le buffet, puis les verres et les timbales, que les petites étalèrent sur la table, ensuite Madelon prit les serviettes dans le tiroir : chacun avait sa façon de plier sa serviette, de manière à  pouvoir la retrouver facilement, et les distribua, rendant à chacun la sienne. Marie posa le litre de vin et un pichet d’eau sur la table, un gros pain à peine rassis et le vieux dessous de plat un peu rouillé.

Voilà, tout était prêt ! Les hommes pouvaient rentrer des champs à présent.

Il y eut un bruit dans la cour :

 arrivait à bicyclette : le facteur.

« Bonjour ! Bonjour ! Il y a quelqu’un ? »

La mère vint sur le seuil pour l’accueillir. « Bonjour Baptiste. Il fait chaud aujourd’hui. Entrez donc vous rafraîchir » Marie apportait déjà un verre de vin.

« Merci bien, ma belle. Mais il faut que je continue. Tenez, vous avez une lettre de Pau. Le beau-frère, sans doute ? »

Il tendit la lettre et le journal à la mère, tout en buvant son verre de vin. Si le père avait été là, ils auraient sans doute discuté un peu. Mais là, il salua d’un coup de casquette et remonta sur son vélo. La tournée n’était pas finie.

La mère posa la lettre sur le buffet. Sans doute Vincent, oui. Sûrement pour annoncer leur venue, à lui et sa femme. Elle attendrait que tout le monde soit là pour l’ouvrir.

Mais déjà le père et les garçons arrivaient. Ils se rincèrent vivement le visage et les bras à la pompe dans la cour, s’essuyant avec leurs grands mouchoirs, et entrèrent dans la salle. Quand toute la famille fut réunie autour de la table et de la soupière fumante, le père récita le Bénédicité, la mère veillant à ce que chacun baissât la tête « Bénissez-nous Seigneur, bénissez ce repas, ceux qui l’ont préparé, et donnez du pain à ceux qui n’en n’ont pas » « Amen ». Tous s’assirent dans un grand bruit de chaises. Le père coupa de belles tranches de pain et la mère servit la soupe dans laquelle elle avait fait tremper du pain rassis qui avait eu le temps de s’imbiber de tous les parfums du bouillon. Pendant un moment on n’entendit plus que le bruit des cuillères cognant sur les assiettes.  Puis le père raconta qu’ils avaient eu du mal avec le champ de pommes de terre. Avec toute cette pluie, la terre n’était que de la boue. Le blé pointait joliment. Il faudrait bientôt semer le maïs et les haricots. Et il allait falloir penser à s’occuper du jardin. Les 3 petits, Antoine, Madelon et Mélanie chahutaient et se lançaient des coups de pied sous la table ; les 2 grands, Pierre et Jean, écoutaient le père. Ils allaient devoir travailler encore avant de rentrer au Collège. Les deux chiens, mendiaient en agitant leur queue, tentant leur chance auprès de chacun. On leur lançait une croûte de pain pour avoir la paix.

Après la soupe, Marie alla chercher le plat de saucisses et de haricots, et un gros morceau de fromage. Quand ils en furent aux pommes ridées et presque sèches, la mère décida d’ouvrir et de lire la lettre du beau-frère.

« Pau le 15 mars,

Mes bien chers,

J’espère que cette lettre vous trouvera tous en bonne santé et que les rhumes et les toux de l’hiver sont bien finis ! Ici nous avons très beau temps depuis quelques jours, ce doit être pareil pour vous et c’est bien agréable après les pluies passées.

Je vous écris pour vous annoncer notre venue pour dimanche 20. Si cela ne vous gêne pas, nous arriverons samedi soir et repartirons dimanche soir, comme d’habitude.

Nous avons, Anna et moi, un grand projet dont nous voulons vous parler.

Nous vous embrassons tous bien fort

Vincent et Anna »

« Eh bien ! C’est une bonne nouvelle ! Non ? » Le père roula sa cigarette, l’alluma et alla s’asseoir sur le pas de la porte, au soleil.

Marie, sa mère et ses petites sœurs débarrassèrent, empilant la vaisselle sale dans l’évier. Marie passa un chiffon humide sur la toile cirée. La mère prit la bassine sous l’évier et y versa l’eau qui chauffait sur la cuisinière et commença à laver les verres ; les petites vidaient les assiettes dans un seau qui avait déjà reçu les épluchures de légumes. On le porterait aux cochons plus tard.

Marie essuyait les verres, les assiettes et les plats, les petites, les couverts et tout ce qui ne risquait pas de se casser.

Sa cigarette finie, le père rentra donnant ainsi le signal de la sieste. Pendant une heure ou deux, la maison allait s’assoupir, volets fermés, chacun allait se reposer avant de repartir aux champs. On s’occuperait de Vincent après.

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Elle s'appelait Marie

Publié le par Marie-Françoise Saulue-Laborde

Elle s'appelait Marie

Prologue

Armand marchait d’un bon pas. Il approchait de la ferme familiale et se réjouissait d’arriver au bout du voyage.

On était lundi et il était parti dimanche matin. Très tôt pour attraper un train, qui après de nombreux arrêts l’avait conduit à Bordeaux, où il avait attendu longtemps une correspondance pour Périgueux. Il avait dormi sur un banc de la gare avant de monter dans un car qui l’avait déposé à 20 km de chez lui.

20 km à pied, cela ne lui faisait pas peur.

Il avait laissé le plus gros de ses affaires à l’hôtel où il retournerait bientôt et avait adopté un sac porté par les troupes de scouts rencontrées ici ou là. Le sac sur le dos, il marchait, les mains libres, ses vêtements roulés à l’abri.

Il lui restait du pain et un bout de saucisson, une pomme flétrie et un fond de vin. Il trouverait bien une fontaine pour s’abreuver sur le chemin.

Il marchait, les mains dans les poches, le béret sur la tête, au milieu de la route, en sifflotant. Il faisait bon en ce début du mois de juillet. Dans les champs de blé, les moissonneurs se mettaient en place. Il les saluait en passant, d’un grand coup de béret. Ils lui répondaient joyeusement : on le reconnaissait ! « C’est le petit de chez Moreau ! Te revoilà donc ! »

Il rentrait chez lui. Plus tôt que prévu. Si sa lettre était bien arrivée, on devait l’attendre. De pied ferme. Il s’était mis en route très vite après l’avoir écrite. Sans attendre.© Un peu anxieux des réactions, mais il se faisait fort de les convaincre. Quand ils verraient la photo de sa petite Marie, ils comprendraient. Au dos elle avait écrit de son écriture appliquée d’écolière : « Pour Armand, en souvenir de sa petite Marie » et elle avait signé : Marie. En riant !

Il se souvenait comment il l’avait entraînée dans la boutique d’un photographe qui avait fait leurs portraits. Ensuite, chacun avait gardé le portrait de l’autre.

Et ils allaient se marier. Très vite. Et il revenait pour obtenir le consentement et la bénédiction de ses parents. Pour la noce. Ensuite, il irait voir les parents de Marie, pour demander sa main. Et ainsi le bébé naîtrait à l’abri.

Il souriait en marchant. La petite Marie !.... il l’aimait tant !..... il lui semblait qu’elle cheminait à ses côtés…..

« GAREZ-VOUS ! GAREZ-VOUS ! Le cheval ! Je ne le tiens plus ! GAREZ-VOUS ! »

A l’instant où il se retourna, il entendit le galop frénétique, mais le cheval était déjà sur lui. Son poitrail le heurta violemment tandis qu’il hennissait, le renversant sur la route. Les sabots le piétinèrent, entraînant la carriole dont les roues écrasèrent son torse et ses jambes.

Le cheval se calma quelques mètres plus loin, renâclant, écumant tremblant encore de peur.

Son maître descendit et courut vers Armand, couché et cassé. Couvert de sang.

« Mon Dieu ! Mais c’est le fils Moreau, c’est Armand ! Oh ! Seigneur ! Quel malheur ! Quel malheur ! »

Des champs alentours accouraient des hommes et des femmes effarés. Il n’y avait plus rien à faire : le bel Armand était mort.

« Je vais les prévenir » dit quelqu’un qui partit en courant.

Le conducteur de la carriole, triturait sa casquette entre ses grosses mains, tentait de comprendre, d’expliquer : le cheval avait été agacé puis piqué par un frelon et s’était emballé. Armand l’avait vu trop tard. Quel malheur, mais quel malheur !

 

©Marie Célanie

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