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Elle s'appelait Marie - Chapitre 6

Publié le par Marie Célanie

Chapitre 6

« Ah ! Marie ! Te voilà de retour ! Tu arrives juste à temps pour m’aider. »

L’oncle et la tante étaient repartis. Chacun reprenait ses occupations et il y avait à faire.

Marie et sa mère se mirent donc au travail pour redonner à la salle son aspect quotidien. Les tasses à café, le sucre, les cuillères, les restes de gâteau, les pots de confiture furent retirés et rangés. On secoua la nappe dans la cour, les poules se précipitèrent sur les miettes dans un grand bruit de becs et de plumes. La nappe et les serviettes furent roulées en boule « J’irai les laver demain au lavoir, avec les draps. Ton père m’aidera à pousser la brouette. »

On remit en place la vieille toile cirée aux dessins presqu’effacés, et un dessous de plat en fer blanc au milieu de la table.

Marie avait pris le balai et s’affairait à nettoyer le sol de la salle qui gardait les traces des repas et des nombreuses allées et venues.

Elles allèrent ensuite s’occuper de la chambre où avaient dormi l’oncle et la tante. Il n’y eut pas grand-chose à faire : tante Anna avait enlevé les draps, reposé l’édredon sur le matelas et les avait entassés avec le linge de toilette au pied du lit.

La mère s’assit sur le lit. Geste surprenant chez cette femme dure au travail et qui ne se relâchait jamais. Elle tapota l’édredon « Viens t’asseoir un peu là »

Etonnée, marie obéit. On n’avait pas l’habitude des confidences, dans la famille. Ni des explications. On ne parlait pas de soi. Voilà.

Elle s’assit, tout en regardant sa mère, par en dessous. Qui ne la regardait pas. Elle fixait quelque chose, au loin, par la fenêtre ouverte. Sans parler.

Quand elle se décida, elle respira profondément et se tourna vers sa fille.

« Donc, tu vas accepter d’aller travailler chez le tonton Vincent ? »

Marie souffla « Oui » timidement « Pourquoi ? Je ne devrais pas ? »

« Oh si ! bien sûr que si ! C’est une belle chance qu’ils te donnent, tu le sais.

Mais il va falloir te préparer un peu pendant l’été. Tu vas savoir besoin de vêtements, un peu plus qu’ici.

Réfléchis à ce que tu voudras emporter avec toi, car tu ne reviendras pas très souvent.

Et puis, il faut que je t’explique quelque chose. Ce n’est pas facile.

Ton oncle et ta tante, c’est ton oncle et ta tante. Mais, là, tu seras surtout leur employée. Tu devras faire attention à ne pas froisser les autres. Je pense à cette jeune fille, Amélie. Qu’elle ne te prenne pas en grippe parce que tu es de la famille. »

Marie avait du mal à suivre. Elle ne comprenait pas.

« Je ne vais pas les appeler Monsieur et Madame, quand même ! »

« Ah ! C’est difficile ! Mais je pense que ta tante te le fera comprendre très vite »

Marie se souvint de l’incident du repas.

«  Que veux-tu dire, Maman ? Tante Anna est très gentille, elle nous aime beaucoup »

« Bien sûr, petite. Mais, elle sera la patronne, et si tu es trop familière avec elle, devant les autres, elle te le fera remarquer. Enfin, c’est ce que je pense. Mais, je peux me tromper. Ce que je veux te dire, c’est qu’ils ne seront sans doute pas aussi aimables qu’ici. Ils seront, peut-être, très exigeants, même un peu durs. Mais je les crois justes et honnêtes. Ils ne te feront pas de mal, mais tu devras apprendre comment travailler, et vite. »

« ça ne me fait pas peur, le travail, nous autres, on connaît »

« Certes, tu n’es pas paresseuse. Mais parfois un peu rêveuse. Il faudra y prendre garde. Ce sera une vie très différente d’ici, même si le travail est à peu près le même. D’abord, nous ne serons pas avec toi, et il y aura des moments où tu te sentiras très seule. Et, heureusement, beaucoup d’autres où tout ira très bien.

Tu nous écriras ? Pour nous raconter tout ça. Et on te répondra.

Tu as quelques mois devant toi pour y réfléchir. Profites-en. »

Marie était troublée. Elle n’avait pas l’habitude de ce genre de conversations. 

« Tu crois que je dois leur écrire tout de suite, puisque je suis décidée ? »

« Non. Pâques n’est pas bien loin, de toute façon, ils n’auront pas longtemps à attendre. »

« C’est vrai. Je vais attendre ; »Et c’est ce qu’elle fit. Avec l’aide de sa mère, le dimanche de Pâques, elle écrivit un petit mot à son oncle et sa tante, pour les remercier de leur offre et leur annoncer qu’elle  l‘acceptait, tout en leur demandant à quelle date ils souhaitaient qu’elle les rejoigne.

Il fut décidé qu’elle commencerait à travailler le 1er octobre. Son père et sa mère l’accompagneraient : ils prendraient le train tous les 3 et les parents reviendraient le lendemain. Presque des vacances !

En attendant, la vie à la ferme continuait.

C’était un sentiment bizarre. A moitié partie déjà, mais encore ici.

Elle rêvassait encore plus que d’habitude.

Le printemps et ses changements de temps et de température s’acheva. lentement. Les fraises et les cerises remplacèrent les pommes fripées de l’année passée. Les écoliers voyaient arriver la fin de l’année scolaire. Le beau temps s’installait durablement. Bientôt arriverait le temps de la moisson, il y aurait aussi le foin à ramasser, les meules à monter.

Ce qui lui paraissait tellement habituel, prenait soudain une acuité nouvelle, se fixait comme un souvenir unique à conserver.

Tout devenait « une dernière fois ».

Car ce départ lui apparaissait déjà définitif. Quand elle reviendrait, ce serait pour repartir.

Plus jamais, elle ne resterait ici.

Alors, elle faisait sa part, comme elle l’avait toujours fait. Mais en y goûtant un peu plus. En savourant.

Il fallut commencer à faire l’inventaire. Ce fut vite fait : elle n’avait pas grand-chose. Mais, par exemple, elle voulait emporter un livre, ou deux. Qu’elle aimait bien. Elle aurait peut-être le temps de lire ?

Elle étala ses vêtements sur le lit : chemisiers ordinaires, un brodé pour le dimanche, une jupe pour tous les jours, et une plus neuve pour le dimanche, un tablier, des bas rapiécé, des chaussettes. Un tricot pour l’hiver, un châle et un vieux manteau. Deux chemises de nuit.

Cela suffirait-il ?

Sa mère examina l’ensemble :

« Il te faut 2 gilets, tu as le temps de les tricoter, j’ai de la laine en réserve. Un tablier c’est trop peu, il te faut du rechange. On va en tailler deux autres dans mes vieilles robes. Les chaussettes et les bas feront l’affaire pour commencer. On achètera 2 paires d’espadrilles. Pour travailler, c’est le mieux. Pour le reste, tu as tes chaussures du dimanche. Tu n’as pas besoin de draps, ils te les fourniront. Ah ! Il te faudra un béret neuf. Et des épingles pour attacher tes cheveux. Oui, ça devrait aller. »

Et durant l’été, c’est ce qu’elles firent : tricot, couture, achats.

Vers le 15 août, les sœurs Lartigue arrivèrent, riant et courant.

« Marie, regarde un peu »

Elles lui tendirent un paquet mal ficelé dans du papier journal.

« Ouvre ! C’est pour toi. On l’a trouvé au marché ce matin. »

Marie trouva un coupon de tissu fleuri. De petites fleurs jaunes et roses s’épanouissaient sur le fond gris foncé.

« Tu devrais pouvoir te tailler un joli corsage »

Déjà, elles avaient saisi le coupon et le drapaient sur ses épaules.

« Regardez, Madame Labarrère, si ce n’est pas joli ! »

Marie rosissait de plaisir. Oh ! Oui ! C’était joli ! Elle embrassa ses deux amies « venez voir mon trousseau, allez venez ! »

Les filles s’exclamèrent « Tu emportes tout ça ? »

« C’est que …je ne viendrai pas beaucoup et pas longtemps. J’en aurai plus besoin là-bas qu’ici. » Sa voix s’étranglait un peu, malgré son sourire.

« Et vous savez, finalement, j’aurai une robe neuve. Enfin, presque neuve. Nouvelle en tout cas. C’est ma tante qui travaille à Bordeaux qui va me l’apporter. La fille de ses patrons n’en veut plus, alors, elle la lui a donnée. Pour moi. Elle arrive demain, vous viendrez lavoir. Et je vais commencer à tailler le corsage. »

Soudain, la séparation devenait une réalité pour Bernadette et Marguerite.

« Tu auras le temps de nous écrire ? Pour nous raconter ? »

« Mais je ne pars que le 1er octobre. On a encore le temps ! »

Le temps passait. Les moissons, les chaleurs de l’été, les confitures et les conserves. Les pommes de terre et les pommes à conserver…

Le temps passait. Inexorablement. Qui la rapprochait chaque jour du 1er octobre.

Vinrent enfin les vendanges.

Les écoliers reprirent le chemin de l’école.

Pas elle.

Un Jour, Pierre, son grand frère, vint la voir.

« On a fait du rangement, au collège. Je t’ai ramené un encrier qui ferme, un porte-plume, des plumes et 3 cahiers. Et des crayons. Et un buvard. Comme ça tu pourras nous écrire. Il ne te manque que les enveloppes et les timbres.

Il serra sa sœur dans ses bras : « Surtout écris-nous. Tu vas nous manquer, Marinette »

 

©Marie Célanie

 

 

 

 

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